Quand le Roi Mohammed VI dénonçait l’attentisme des pays industrialisés…

Le souverain prononçant son discours devant la séance solennelle de haut niveau de la COP 22.

La phrase culte de Jacques Chirac prononcée lors du IVe sommet de la Terre, en 2002, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » est, hélas, toujours d’actualité, rappelant aux dirigeants des pays industrialisés l’ampleur de leur inertie dévastatrice…

Deux décennies plus tard, la planète continue de cramer dans l’indifférence des décideurs du monde qui regardent en spectateurs passifs ces mégafeux dévaster de plus en plus de pays à chaque saison estivale marquée par des canicules exceptionnelles. Cette année, c’est le Maroc qui est aux prises avec des incendies de forêt sans précédent, qu’on dirait sorti droit d’un film catastrophe, qui ont détruit plusieurs milliers d’hectares de couvert végétal dans plusieurs villes du nord. Le mercure a grimpé à des niveaux records dans des pays comme le Royaume-Uni avec 42,2 °C atteint en ce mois de juillet. Cette vague de chaleur accablante, qui s’est abattue sur l’Europe de l’Ouest, a fait plus de 500 morts en Espagne. « L’urgence climatique est une réalité » et « le changement climatique tue », a lancé le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez lors de sa visite dans la région d’Aragon, touchée par un brasier ravageur.

La cote d’alerte a été atteinte, signalée depuis des années par les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).   Le dernier en date, publié en avril 2022, livre une conclusion catastrophique : Si les pays industrialisés ne font rien pour réduire de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre avant 2030, le réchauffement planétaire dépassera les 1,5 °C, une ligne rouge, la terre entrerait de plain-pied dans un cycle de phénomènes extrêmes encore plus violents (sécheresses, pluies diluviennes et inondations, tempêtes, vagues de chaleur et incendies, etc.). D’après tous les scénarios envisagés, le réchauffement ira en s’accentuant d’ici 2050 et dépassera 1,5 °C, voire 2 °C, au cours du 21e siècle, sauf si des réductions importantes des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre interviennent au cours des prochaines décennies.

Or, contenir le réchauffement à 1,5° C, objectif consigné dans l’Accord de Paris, est-il encore possible, compte tenu de la poursuite des activités humaines basées sur la combustion des énergies fossiles telles que le pétrole, le charbon et le gaz ? N’est-il pas déjà trop tard pour sauver la planète des démons de la dérégulation climatique qui menacent la vie humaine et les écosystèmes ?

Ces vives inquiétudes entrent en résonance avec les mises en garde de S.M le Roi Mohammed VI lors de la COP 22 de Marrakech en 2015 qui s’annonçait pour le souverain comme « celle de la vérité et de la clarté, une conférence pour prendre nos responsabilités devant Dieu et l’Histoire, et devant nos peuples». Et le souverain d’avertir que le coût de l’attentisme et le manquement à l’impératif d’affronter le changement climatique et ses effets, auront des conséquences graves, mettant en péril la sécurité et la stabilité et induisant l’extension des foyers de tension et des crises à travers le monde.

L’ennemi de l’environnement c’est l’homme et ses diverses activités ravageuses aussi bien pour lui-même, la faune que la flore.  Ce n’est pas les COP à répétition (à l’image de la n° 26 de Glasgow en Ecosse), ces grands-messes à générer de belles promesses en l’air pour réduire les émissions à effet de serre dans l’espoir de freiner le dérèglement climatique qui changeront quoi ce soit à cette réalité très alarmante qui menace la vie sur terre. Tant que les dirigeants du monde et ceux qui détiennent le pouvoir d’agir sur le réel pour installer un véritable cercle écologique vertueux n’auront pas agi dans le bon sens, la santé planétaire, déjà sérieusement entamée, ira en se détériorant.

Cercle vicieux

Génératrices de confort et de bien-être au nom desquels elles sont officiellement menées, les activités humaines dans leur complexité masquent en fait une rapacité permanente du lobby des producteurs, désignée sous de doux euphémismes comme l’innovation ou la compétitivité. Incitant à la conquête de nouvelles parts de marché pour gagner toujours plus tout en veillant à ne pas être  dépassé par la concurrence, cette course  effrénée et perpétuelle vers la nouveauté, accentuée par la dictature du paraître, imposée par les dernières tendances de la mode, crée la plupart du temps une infinité de faux besoins que le matraquage publicitaire non-stop, via de nombreux canaux,  se charge de populariser auprès de consommateurs de plus en plus conditionnés.  

Ces derniers ont par exemple à peine utilisé leurs smartphones dernier cri de telle ou telle marque que ces gadgets high-tech sont déjà démodés par la mise sur le marché de nouvelles versions, jugées plus performantes que les précédentes. Un produit en chasse un autre à une vitesse vertigineuse alors qu’ils remplissent la même fonction… Mais a-t-on vraiment besoin, même si on en a largement les moyens, de changer de portable tous les mois, de posséder plusieurs voitures à la fois, de changer de garde-robe au gré des nouvelles collections, etc. ?  Un changement salutaire, et tout le reste n’est que littérature et envolées lyriques, ne peut découler que d’une prise de conscience citoyenne agissante à l’échelle mondiale… En attendant, la planète n’a de cesse de tirer diverses sonnettes d’alarme pour réveiller les consciences endormies, voire hypocrites : multiplication des canicules et des inondations meurtrières, retard des précipitations, élévation menaçante du niveau de la mer, amplification des feux de forêt, dysfonctionnements agricoles, hausse de flux migratoires climatiques… Ces événements extrêmes sont engendrés par ces excès à la fois de consommation et de production que l’économiste Bernard Harris résume bien : « Toute l’activité des marchands et des publicitaires consiste à créer des besoins dans un monde qui croule sous les productions.

Cela exige un taux de rotation et de consommation des produits de plus en plus rapide, donc une fabrication de déchets de plus en plus forte et une activité de traitement des déchets de plus en plus importante ».

Sans conteste, il y a aussi des leçons fondamentales à tirer de la crise sanitaire due au Covid-19.  La seule véritable puissance qui a réussi à mettre la planète en mode pause en purifiant l’air par une réduction drastique des émissions de CO2 et montré au passage la futilité de nombreuses actions que l’homme croyait jusque-là essentielles à son bonheur. Quelque part, les dérèglements,  climatique et sanitaire, découlent au fond d’une crise morale et éthique profonde qui a fait que les valeurs, censées commander le comportement humain,  représentent de moins en moins la devise la mieux partagée ici et ailleurs…

Au-delà des appels à la décarbonation de l’économie mondiale et l’élévation des énergies renouvelables au rang de nouveau mantra, le défi salutaire, dont est tributaire l’avenir du Globe, réside dans une transformation en profondeur de nos modes de vie, de production et de consommation fondés sur une surexploitation des ressources naturelles. Ce cercle vicieux et ses multiples dérives ont enfanté une société basée sur l’accumulation de tout et n’importe quoi et très peu de partage des richesses. Et ce ne sont pas les stratégies marketing à grands renforts de budgets consistant à verdir l’image des gros pollueurs du monde qui vont sortir les humains de cette grande et dangereuse impasse environnementale. Le résultat est là, très peu flatteur : En moins de 100 ans,   l’homme moderne, guidé par le seul appât du surprofit, a fait plus de dégâts dans les écosystèmes terrestres et marins que toute l’humanité en plusieurs siècles. Dit autrement, les hommes engloutissent en quelques décennies ce que la planète a mis plusieurs millions d’années à produire. Le néolibéralisme est tout sauf un modèle. « Notre surcroissance économique se heurte aux limites de la finitude de la biosphère.

La capacité régénératrice de la Terre n’arrive plus à suivre la demande : l’homme transforme les ressources en déchets plus vite que la nature ne peut transformer ces déchets en nouvelles ressources », écrit Serge Lacouture dans son « Petit traité de la décroissance sereine ». Par son inconscience et sa cupidité, l’homme est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. La phrase culte de Jacques Chirac lors du IVe sommet de la Terre, en 2002, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.» est, hélas, toujours d’actualité, rappelant aux dirigeants des pays industrialisés l’ampleur de leur inertie dévastatrice…

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