Le nombre des maladies rares avoisine les 8.000 et on en recense de nouvelles chaque année. Au Maroc, certains spécialistes affirment que le nombre de patients en souffrant est de l’ordre d’au moins 1.5 million. Radioscopie d’un mal terrible…
La présidente de l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM), à savoir le docteur Khadija Moussayer, explique d’emblée : « Les maladies rares ont une définition internationale. Il s’agit de toute maladie qui touche moins d’une personne sur 2.000. Elles sont au nombre de presque 8.000. On estime que plus de 5 % de la population mondiale serait concernée par ces maladies, soit environ 1 personne sur 20 et donc au moins 1,5 millions de patients au Maroc. Il est possible que ce nombre soit encore plus élevé pour notre pays à cause des mariages consanguins (entre cousins) encore fréquents qui aggravent la possibilité de transmettre aux enfants ces pathologies ». La plupart des maladies rares pourraient, en parallèle, se permettre l’adhésion d’un autre adjectif pour les décrire, à savoir : graves. Dans ce chapitre, le Docteur Khadija Moussayer révèle : « Les maladies rares sont souvent chroniques, évolutives et en général graves. Le pronostic vital est fréquemment mis en jeu : 80% ont un retentissement sur l’espérance de vie. Une gêne notable et des incapacités à la vie quotidienne sont présentes dans plus de 65% des cas et une perte complète d’autonomie dans 9% des cas ».
Un constat alarmant
Et autre chose vient assombrir davantage ce tableau. Toujours selon le docteur Moussayer : « Extrêmement diverses, 80% de ces maladies ont une origine génétique. 3 maladies sur 4 se déclenchent dans l’enfance mais certaines attendent 30, 40 ou 50 ans avant de se déclarer ». Donc l’âge avancé n’est pas une garantie de ne pas être atteint d’une maladie rare. Du côté des cabinets médicaux, les maladies rares semblent faire partie de la routine. Le médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, Tayeb Hamdi, raconte : « On reçoit des patients atteints de maladies courantes, des maladies qui touchent de très nombreuses personnes, par exemple le diabète et la grippe, mais on reçoit également des patients atteints de maladies rares. Et le fait qu’elles soient rares ne signifie absolument pas qu’on n’est pas amené à les traiter. Elles ne sont pas aussi rares que ça, pour résumer. Il y a 8.000 maladies rares à peu près et chaque maladie atteint une petite proportion de la population ». C’est effectivement une situation des plus préoccupantes : 8.000 maladies rares dans la nature, et une personne sur vingt est atteinte.
Autre précision supplémentaire : . Selon les spécialistes, 150 maladies rares englobent 80% des cas de maladies rares dans le monde. S’il y a 400 millions de personnes sur terre qui souffrent de maladies rares, 80% des sujets en sont atteints. Le docteur Tayeb Hamdi, pour qui le nombre de Marocains atteint de maladies rares doit excéder les 1.8 millions, parle de son travail routinier au cabinet : « Il y a des maladies qu’on voit beaucoup dans nos cabinets, qu’on a l’habitude de suivre nous-mêmes avec d’autres spécialistes, comme la sarcoïdose, l’hémophilie, le syndrome de Guillain-barré, il y a beaucoup de cas de drépanocytose, une maladie héréditaire, et on voit également de nombreux cas de thalassémie, aussi maladie héréditaire, ou d’ovaires polykystiques chez les jeunes femmes. On en voit beaucoup et ce ne sont que des exemples ». Ce ne sont les dires que d’un seul médecin. A savoir que le Maroc ne dispose même pas d’un centre de référence et d’informations pour les maladies rares… En outre, l’AMRM que préside le docteur Khadija Moussayer dénonce une couverture médicale des plus problématiques, et d’extrêmes difficultés de mise sur le marché de médicaments orphelins, disponibles ailleurs, et pouvant soigner de nombreux maux. Et des maux, il y en a une infinité possible.
Dégâts potentiels
Selon le docteur Khadija Moussayer, certaines maladies rares peuvent empêcher de : voir (rétinites), respirer (mucoviscidose), résister aux infections (déficits immunitaires), le sang de coaguler normalement (hémophilie). D’autres provoquent : un vieillissement accéléré (progéria, 100 cas dans le monde) ; des fractures à répétition (maladie des os de verre) ; une transformation des muscles en os (maladie de l’homme de pierre, 2 500 cas dans le monde) ; une anémie par anomalie de globules rouges (bêta-thalassémie) ; une sclérose cérébrale et une paralysie progressive de toutes les fonctions (leucodystrophie) … ou encore des mouvements incontrôlables et un affaiblissement intellectuel allant jusqu’à la démence (maladie de Huntington). À en croire la même source: « Toutes ces affections sont présentes au Maroc et à peu près dans les mêmes proportions. Quelques-unes sont toutefois plus fréquentes comme la fièvre méditerranéenne familiale, une maladie caractérisée par des accès fébriles, et qui comme son nom l’indique touche beaucoup plus fréquemment les populations du bassin méditerranéen, notamment les Juifs non ashkénazes, les Arméniens, les Turcs et évidemment les Arabes ».
Du côté des malades et de leurs familles
Le 28 février était, pour 5% de Marocains atteints de maladies rares au Maroc, ainsi que leur famille, synonyme de journée internationale dédiée . Et ce sont des gens qui ont, chacun, une histoire, singulière, parfois émouvante, mais toujours triste, voire tragique. Les parents désespérés d’une petite fille révèlent, en effet, à notre rédaction, une histoire des plus tristes : Ilham a eu plusieurs fractures survenues dès la naissance, même sans traumatisme. Elle a vécu l’enfer. À l’âge de 11 ans aujourd’hui, Ilham a déjà eu 104 fractures. 104 ! Avec toutes les souffrances qui accompagnent chacune. Son diagnostic a été difficile à obtenir et plusieurs consultations ont été nécessaires avant d’avoir le bon : l’ostéogenèse imparfaite, autrement nommée maladie des os de verre. Des os tellement fragiles qu’on les qualifie ainsi… La deuxième difficulté résidait dans l’indisponibilité du traitement. Il fallait, pour les parents, se débrouiller pour se le procurer depuis l’étranger. C’est une maladie qui nécessite plusieurs opérations pour consolider et allonger les os, des opérations dont le coût est très élevé. En plus de son calvaire, c’est une maladie qui n’est pas encore considérée comme une affection de longue durée avec possibilité de remboursement intégral des soins. Ilham, à 11 ans seulement, a déjà vécu plus de choses traumatisantes qu’on ne vivrait en des dizaines de vies, tel semble être le résumé de ce drame.
Pour un autre enfant, Ayoub, tout allait bien jusqu’à l’âge de 10 ans, d’après ses parents. Mais à partir de cet âge, également très précoces, il commença à vivre des épisodes de gonflement du visage, des mains… avec des crises de douleurs abdominales très intenses. Ces crises duraient quelques jours et disparaissaient spontanément. Bien qu’il y ait eu des cas similaires dans la famille, les différents médecins qu’il a vus concluaient à une allergie dont l’origine n’a pu être étiquetée. La clé du problème est venue complètement par hasard, quand les parents ont entendu parler d’une maladie qui correspond parfaitement aux symptômes vécus par Ayoub : l’angiœdème héréditaire. Un diagnostic réussi par hasard, par des parents… Alors même qu’il y a des cas familiaux. Cela peut sembler absurde, au lecteur, mais, dans la réalité, le diagnostic des maladies rares est vraiment quelque chose de problématique, et dure quasiment toujours de nombreuses années, avant d’obtenir le bon, faute, surtout, de l’existence d’un centre de référence des maladies rares, à en croire l’AMRM.
Telle fille, tel père
D’un autre côté, même avec le bon diagnostic, les choses sont loin d’être aisées pour les patients et leurs familles. Par exemple, les dégâts infligés par les maladies rares peuvent très souvent être minimisés, ou évités, pour peu que l’ignorance ne soit pas également de la partie. Et l’histoire qui suit le prouve : Fatima Zahra Ghazaoui est décédée en août dernier, à l’âge de 31 ans. Elle était atteinte de xeroderma pigmentosum, dont les patients sont aussi appelés les enfants de la lune, en raison du fait qu’ils ne peuvent plus se permettre aucune exposition, sans protection, au soleil, au risque de développer des cancers. Selon son père, El Habib Ghazaoui, Fatima Zahra nous a quittés prématurément et aurait pu vivre beaucoup plus longtemps. Et Fatima Zahra Ghazaoui n’est pas n’importe qui, ayant réalisé des choses absolument immenses de son vivant en faveur des enfants de la lune, et ayant même inspiré son père qui créa la première association au Maroc des enfants de la lune et de leurs familles, à savoir l’Association de solidarité avec les enfants de la lune-Maroc. Une association dont il est encore –malgré le décès très récent de sa fille bien-aimée- l’actuel et infatigable président (en plus d’être membre de l’Alliance des maladies rares au Maroc). Voici son histoire, racontée par son père, pour donner au lecteur un petit aperçu sur ce qui se passe étape par étape dans la vie d’un patient atteint d’une maladie rare, toute cette profondeur :
« Fatima Zahra est née le 9 janvier 1992. Elle était normale, nous n’avions rien remarqué au début. Nous étions très heureux. Et nous l’élevions normalement. Mais à un moment nous avons commencé à constater l’apparition de tâches de rousseur sur son visage et de quelques croûtes. Nous n’avons pas fait le lien avec la xeroderma pigmentosum, nous ne savions pas de quoi il s’agissait. Je l’ai emmené voir un pédiatre à Casablanca, et elle n’a pas su diagnostiquer la XP. Elle m’a seulement demandé de lui appliquer de la pommade. Chose que nous avons faite, mais ça n’a rien donné. Les jours passaient et les symptômes augmentaient de manière grave. Nous ne savions pas alors comment la protéger contre les UV et nous ne savions même pas qu’il fallait l’en protéger. J’ignorais jusqu’à l’existence de cette maladie. Je l’ai alors emmenée chez un autre médecin, toujours à Casablanca, qui lui a réussi à bien la diagnostiquer. Alors même qu’il ne voulait pas nous effrayer, il nous a dit que c’était une maladie grave et dont le traitement et les soins sont difficiles. Il nous a expliqué qu’il était nécessaire de la protéger contre les rayons du soleil. À cette époque j’habitais à Oued Zem, et je travaillais dans l’agriculture. Notre maison était à la campagne, c’est-à-dire qu’on était entourés de toutes parts par les rayons du soleil.
J’étais absolument consterné, et je rappelle que c’est une maladie dont je ne savais absolument rien. Mais il n’était pas question de se laisser aller car les médecins m’avaient affirmé que cette maladie est très grave. Cela m’a fortement atteint. Je commençais à enfiler ma djellaba et à sortir pleurer dans quelques endroits déserts, ne comprenant pas cette catastrophe qui s’était abattue sur ma famille.
Nous avions énormément de frais de santé, mais heureusement j’étais mutualiste. Et les opérations chirurgicales ont par la suite débuté également, à commencer par son nez. Il fallait enlever toutes les tumeurs avec une grande précision. Nous avons réussi à sauver son nez après plusieurs opérations. Peu de temps après, un bourgeon est apparu sur sa langue, un bourgeon dont la taille augmentait rapidement. Nous lui avons fait subir une opération chirurgicale à Rabat, on lui a enlevé la tumeur mais on a dû également lui enlever, la pauvre, une partie de la langue. Et cela n’a jamais cessé depuis lors. Il y avait toujours des opérations chirurgicales à réaliser. Nous vivions entre Mohammedia, où j’ai demandé à être muté, et Rabat.
En 2003, j’ai décidé de demander mon départ volontaire car nous ne pouvions plus vivre à la campagne. À cette époque, Fatima Zahra était scolarisée et le trajet entre la maison et l’école était très long. Je lui avais affecté un chauffeur pour l’emmener et la ramener. Mais il y avait des UV malgré toutes nos précautions, malgré le grand chapeau qu’elle portait, malgré les écrans et les lunettes. C’est là que j’ai quitté mon travail en départ volontaire, nous nous sommes installés à Mohammedia et j’ai également décidé de la faire sortir de l’école. Elle était alors en CM2.
Les opérations chirurgicales se poursuivaient mais, alors qu’elle était âgée de 21 ans, l’Etat lui a stoppé sa couverture médicale et nous ne pouvions plus compter que sur nos propres ressources. J’ai alors pris contact avec un grand dermatologue qui réalisait des opérations très coûteuses, et parfois il lui enlevait 15 ou 16 tumeurs en un seul jour. J’avais convenu avec lui de le payer au noir pour avoir un tarif un peu plus bas. Fatima Zahra a commencé à beaucoup travailler via internet et les réseaux sociaux.
Elle a laissé une belle et grande empreinte dans ce cercle des enfants de la lune. Elle a donné aux autres malades l’opportunité de s’exprimer et de parler de leurs cas. Ils commençaient même à poster leurs photos alors qu’avant ils avaient peur de faire cela. Elle a réalisé plusieurs rencontres avec des médias nationaux et internationaux. Elle expliquait également aux malades comment apprendre à vivre avec la XP et comment vivre, tout simplement, sans rester intégralement concentrés sur leurs maux. Elle donnait de l’espoir et offrait beaucoup aux enfants pour qu’ils puissent vivre une vie normale. Nous avons créé notre association en décembre 2012 avec une dame qui avait deux enfants atteints de XP, tous deux décédés aujourd’hui, malheureusement. Nous avons commencé à travailler, à fournir aux enfants ce dont ils avaient besoin, masques, écrans, lampes LED, nous organisions des rencontres, des séminaires avec des médecins qui informaient les malades et leurs familles et les conseillaient sur la manière de les protéger au maximum, moyennant quelques sacrifices vis-à-vis de comment vivaient ces familles avant. En 2017, la personne qui était présidente de l’association s’en est retirée, après le décès de sa petite fille. Je suis alors passé de vice-président de l’association à président. Fatima Zahra me rejoignit au bureau et elle œuvra également de manière magnifique. Elle a même résolu nos problèmes de ressources financières.
C’est elle qui nous ramenait les fonds dont on avait besoin. Elle s’est déplacée à Qatar, à Dubaï, en France… pour informer du calvaire vécu par les enfants de la lune. Elle surmontait la grande stigmatisation dont elle souffrait, de la part des gens, elle aimait vivre, sortir, voyager, s’amuser, elle était très attachée à la vie et à la joie de vivre. Peu avant de décéder, elle était partie à Dubaï pour participer à un événement organisé par DHL, on leur avait proposé des thèmes qu’ils pourraient aborder et Fatima Zahra a choisi de parler de la XP, et DHL a alors offert à l’association un montant très important, de l’ordre de 280.000 dirhams. C’est après leur avoir remis un trophée et un certificat de gratitude qu’elle est revenue très malade… Nous sommes toujours très abattus par le décès de Fatima Zahra. Moi, sa mère, et toute la famille. Elle illuminait toute la maison par sa seule présence. La vie sans elle est vraiment très difficile. Nous essayons de nous adapter à cette nouvelle réalité amère ». L’une des pires, en effet…
Le rêve d’une enfant de la lune
De son vivant, la regrettée Fatima Zahra portait plusieurs projets pour les enfants de la lune, dont un qui lui était très cher. Et bien évidemment, son papa a pris le relais : « Nous avons contacté le cabinet royal pour créer un centre d’accueil pour les enfants de la lune. Le cabinet royal nous a répondu et orienté vers le ministère de la Solidarité. Nous avons même réalisé les plans de ce centre, via un architecte. Ce centre serait adapté au handicap des enfants de la lune et serait surtout une école et un lieu de résidence pour les enfants de la lune.
Ils pourraient y manger, y dormir. Il contiendrait également un cabinet médical, pour éviter aux enfants les déplacements dans les hôpitaux. Et pourquoi pas un bloc opératoire pour que les enfants puissent y subir les opérations chirurgicales nécessaires, et très nombreuses, à leur survie ! Ma fille aurait pu vivre plusieurs autres années si d’autres dispositions avaient été prises pour les enfants de la lune ». C’est ce qu’El Habib aurait aimé pour sa fille… Et c’est ce qu’il veut toujours pour les autres enfants de la lune. Mais la désillusion ne tarda pas, car voici les dispositions du ministère en question, expliquées par M. Ghazaoui: « Avec le ministère, on a convenu qu’ils nous subventionneraient à hauteur de 200.000 dirhams pour que l’on puisse acheter des masques et d’autres choses.
Ce n’est pas suffisant, mais c’est un geste ». Des propos compréhensibles, quand on connaît les problèmes rencontrés par les enfants de la lune, dont certains nous sont révélés par M. Ghazaoui : « Nous avons beaucoup de problèmes. Par exemple, nous avons besoin d’autres protocoles avec les pharmacies et les labos au sujet des médicaments. Et il y a le grand problème de la scolarisation, les enfants de la lune ne pouvant pas poursuivre leur scolarité sans risquer des dommages physiques.
Il faut qu’il y ait une nouvelle formule pour les enfants de la lune pour qu’ils puissent suivre les cours chez eux, en ligne par exemple. Nous avons aussi un énorme problème, et ça concerne l’incorporation de la XP au sein des maladies handicapantes. Nous avons donc proposé au ministère que les enfants de la lune soient considérés comme des handicapés. Car si cela se réalise, beaucoup de nos problèmes seront réglés ».
Les rêves d’une enfant de la lune qui, jusqu’à son dernier souffle, a tant œuvré pour les autres malades, les autres petits, ne méritent-ils pas d’être réalisés? Seul l’avenir nous le dira…