Les partis politiques sont appelés à proposer des candidats de valeur, ce qu’ils ont très peu fait jusqu’ici, pour tirer la région vers le haut.
Laila Lamrani
Le chantier majeur dont dépend le développement du Maroc et conditionne son avenir s’appelle la régionalisation avancée. La territorialisation des politiques publiques et la réduction des disparités à la fois sociales et spatiales passent par la mise en œuvre réussie de cette réforme. Certes,tout le monde est convaincu que Rabat, où toutes les décisions sont centralisées, ne peut pas tout faire et qu’il faut s’appuyer sur les 12 régions que compte le Royaume pour agir sur le réel dans les territoires afin de le changer au bénéfice des populations. Mais en même temps, la déconcentration reste un vœu pieux puisque la majorité des départements ministériels rechignent à céder une partie de leurs prérogatives aux régions. Ce qui va à l’encontre des principes de la charte de déconcentration dont les participants à la deuxième édition des assises de la régionalisation avancée de Tanger ont appelé à l’accélération de la mise en œuvre. Le renforcement de « la gouvernance territoriale intégrée » en dépend.
Choix royal que le souverain avait annoncé en 2008, inscrit dans la Constitution de 2011 après les conclusions de la commission consultative sur la régionalisation, celle-ci a tardé à jouer véritablement son rôle dans un pays où le processus de décentralisation a démarré il y a plusieurs décennies. Précisément en 1976 quand l’État décida d’abandonner une partie de ses prérogatives aux partis politiques ; ce qui donna lieu à une charte communale et la création des collectivités locales. Avec les résultats que l’on sait à l’échelle des communes dont la gestion est un échec retentissant que traduit l’emprisonnement de plusieurs dizaines d’édiles locaux impliqués dans des affaires de détournements de fonds.
Pour éviter que ne se reproduise un tel scénario, le ministère de l’Intérieur qui a appris la leçon a adopté une autre démarche en matière d’opérationnalisation de la régionalisation. A cet égard, le maître-mot est la séparation entre le délibératif dévolu aux élus de la région et l’exécutif qui doit relever d’une autre entité où siègent des experts en montage de divers projets de développement. D’où la création de l’Agence nationale d’exécution des projets (AREP) qui s’appuie sur les sociétés de développement régional (SDR), l’équivalent des SDL (sociétés de développement local pour les communes) pour s’occuper de la gestion de tel ou tel secteur d’activité dans la souplesse et l’efficacité. Les élus voient évidemment d’un mauvais œil la multiplication de ces sociétés qu’elles accusent de les déposséder de leurs attributions.
Or, derrière la création de ces entités se cache une forte volonté politique : celle d’éviter la reproduction de l’erreur monumentale des communes où le président et les élus de la majorité sont à la fois juges et parties : Le conseil communal délibère, adopte le projet de voirie ou d’éclairage après avoir décidé de son opportunité et du montant du budget alloué et lance les marchés qui se caractérisent généralement par leur opacité. Tout au long de ce processus, le plus important, qui conditionne la réussite du chantier mis en œuvre, est absent, à savoir l’expertise et la technicité qui sont comme chacun le sait loin d’être le fort des élus partisans dont la majorité n’ont même pas les prérequis nécessaires en matière de gouvernance urbaine et rurale. L’état peu reluisant du Maroc des villes et des campagnes, miné par de grands dysfonctionnements et les disparités territoriales, en dit long sur les dérives produites par la démocratie locale. Et ce n’est pas faute de moyens financiers. Ceux-ci existent. Mieux, les collectivités réalisent chaque année des excédents faute d’expertise dans la conception et le montage des projets ; ce qui est quand même paradoxal pour un pays qui manque cruellement d’infrastructures dans différents domaines.
Les profils des 12 présidents de régions sont d’inégale valeur. Certains sont plus entreprenants et dynamiques que d’autres. C’est à ce niveau-là que se joue principalement l’avenir de la régionalisation qui a besoin de véritables compétences pour faire de la régionalisation un levier de développement du pays dans le cadre d’une optimisation des moyens alloués et la convergence de l’effort public.
A cet effet, les partis politiques sont appelés à proposer des candidats de valeur, ce qu’ils ont très peu fait jusqu’ici, pour tirer la région vers le haut. Une chose est sûre : La volonté politique de faire avancer la régionalisation y est. Preuve, le ministre de l’Intérieur se réunit depuis 2017 avec les présidents de région pour faire le point sur l’état d’avancement du chantier de la régionalisation avancée. Les ministres sont eux aussi impliqués dans le processus de concertation sur les compétences ministérielles à transférer aux régions. Le décollage économique du Maroc et sa prospérité reposent en grande partie sur la capacité des conseils régionaux à jouer pleinement leur rôle. Tout un programme.