L’imam éclairé Hassan Iquioussen a été reconduit vendredi le 13 janvier vers le Maroc depuis la Belgique, où il s’était enfui à la fin de l’été après son expulsion de France pour des « propos incitant à la haine et à la discrimination ». Remontant à 2004 et pour lesquels il s’était excusé. Retour sur une affaire mystérieuse.
S’il faut un signe du réchauffement des relations maroco-françaises, l’arrivée de Hassan Iquioussen au Maroc vendredi 13 janvier, en provenance de Belgique en est bel et bien un.
Car Rabat avait dans un premier temps refusé au cours du mois d’août dernier, au moment du démarrage des ennuis politico-judiciaires du prédicateur marocain, de délivrer le laissez-passer consulaire. Un document nécessaire à l’application de la décision de l’expulsion du prédicateur vers son pays d’origine, prise par le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce refus avait été mis, selon les observateurs, sur le compte du froid diplomatique entre les deux pays du fait de plusieurs désaccords notamment autour du dossier du Sahara marocain et celui des visas. L’avocate de M. Iquioussen Lucie Simon s’est étonnée de la « volte-face» de Rabat, estimant que « la vie de M. Iquioussen est en France ». Et d’ajouter : « Nous attendons le jugement sur le fond du Tribunal administratif de Paris, si l’arrêté d’expulsion (français) était annulé, la France devra assurer son retour ». En attendant, son client a été refoulé vers le Maroc selon le scénario préparé par les autorités françaises. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, on voit l’imam poussant son chariot a bagages sur le parvis de l’aéroport Mohammed V de Casablanca et plaisantant avec ses proches venus à son accueil.
« Mon oncle, tu n’es plus recherché? », lui lance sur un ton enjoué l’homme venu à sa rencontre aux abords de l’aéroport. « Je suis l’homme le plus libre sur terre », lui répond tout aussi souriant et décontracté l’imam qui a dit sa satisfaction, visiblement surpris d’avoir bien été traité par les agents de la police des frontières qui étaient informés en amont de son arrivée. « Ils m’attendaient! Bonjour Monsieur Hassan, bienvenue, comment allez-vous ? Ils m’attendaient tous », s’est-il exclamé, soulagé de ne pas avoir été soumis, comme il le redoutait, à un interrogatoire long et musclé eu égard à ses critiques envers l’État marocain formulées au cours de certains de ses prêches en France. Fin donc du calvaire de M. Iquioussen avec son retour forcé au Maroc, son pays d’origine après l’annonce par Nicole de Moor, secrétaire d’État belge à l’Asile et la Migration de son expulsion de Belgique où il a été arrêté le 30 septembre dernier. «Nous ne pouvons pas permettre à un extrémiste de se promener sur notre territoire. Toute personne qui n’a pas le droit d’être ici doit être renvoyée», a souligné Mme de Moor, saluant au passage « la bonne coopération » avec la France sur ce dossier. Décrété persona non grata dans sa terre de naissance, la France, pour des raisons mystérieuses, Hassan Iquioussen s’est retrouvé subitement au cœur d’un grand imbroglio politico-juridique avec inscription au fichier des personnes recherchées partagé dans le système Schengen.
La machine anti-Iquioussen s’est mise en branle lors de l’été dernier pour sanctionner des propos remontant à 2004 jugés antisémites et misogynes et pour lesquels il s’est excusé. Malgré cela, le Conseil d’État saisi par le ministre de l’Intérieur annulera le 30 août 2022 l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris suspendant l’expulsion de Hassan Iquioussen. Pour cette haute juridiction, les paroles de l’imam constituent « des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination ou à la haine justifiant la décision d’expulsion».
Troublant
Mais pourquoi exhumer aujourd’hui une non-affaire ancienne et en faire aujourd’hui une affaire d’Etat ? Là réside la question et tout le mystère. Celui-ci s’épaissit davantage lorsque l’on sait que Hassan Iquioussen est à rebours de l’islamiste dangereux dépeint par le ministre français de l’Intérieur Gerald Moussa Darmanin.
L’acharnement politico-judiciaire sur Hassan Iquioussen est franchement troublant. A l’inverse de ses affirmations, M. Iquioussen, fort d’une large audience sur les réseaux sociaux, défend le mariage civil, prône l’égalité homme-femmes, a condamné les attentats ayant visé la France et la Belgique et ne stigmatise pas les homosexuels. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir qu’il est plutôt moderne (Costume-cravate, barbe finement ciselée et visage sympathique) et ne pas entendre que ses prêches à caractère éducatif délivrés en très bon français sont un appel à la tolérance et au respect des lois de la république et du vivre-ensemble. Dans l’un de ses prêches, il a conseillé aux jeunes maghrébins issus de l’immigration de brandir le drapeau français et non celui de leur pays d’origine lors des victoires du Onze de France pour exprimer leur joie et cesser de vivre cette «dichotomie» identitaire. « soyez Français et assumez votre identité française », leur lance-t-il sur le ton de la conviction, avant d’ajouter : « Construisez votre société et améliorez-là », en affirmant qu’il n’ y a aucun mal à « aimer un non-musulman car « il y a des « non-musulmans aimables et (…) « au niveau comportement meilleurs que des musulmans ».
Dans une autre conférence, M. Iquioussen recommande à son auditoire musulman de ne pas hésiter à inviter chez lui ses voisins d’autres confessions pour « passer avec eux deux ou trois heures dans l’échange et le dialogue, la bonté et l’hospitalité ». « Vous allez voir que toutes les tentatives de « diabolisation d’une partie de la société française, vous musulmans », véhiculées dans les médias vont « fondre au soleil de votre bonté et gentillesse », fait-il remarquer, le regard espiègle. On n’expulse pas un homme qui plaide pour l’intégration des musulmans de France et leur demande de créer des liens de convivialité avec les Français de confession chrétienne ou juive…Troublant, non ?
Celui qui a vu le jour à Denain en France en 1958 se considère comme Français et assume sans complexes la citoyenneté de son pays natal en bonne musulman tolérant et respectueux de lois de la république. Pur produit de sa terre natale où il a grandi et étudié, il aurait pu être Français- et par conséquent à l’abri d’une mesure de refoulement – si son père ne l’avait pas dissuadé à sa majorité de faire la demande de la nationalité française, ce qui l’a obligé de solliciter à chaque fois des cartes de séjour de 10 ans pour rester en France. Comment est-il concevable de chasser de son pays natal qu’il dit aimer même s’il n’en a pas la nationalité une personne qui se réclame publiquement de « l’islam du juste milieu qui prône la tolérance et le respect des autres »? On a en effet du mal à appréhender les véritables ressorts de l’expulsion de cet imam éclairé qui défend son identité franco-musulmane qu’il vit en parfaite symbiose avec les valeurs de la république française… Hassan Iquioussen dérange-t-il parce qu’il incarne le profil du parfait musulman bien intégré en France ?