De nos jours, notre espèce tend à sublimer le superficiel et à idéaliser l’insignifiant à travers l’objet fétiche qui devient source de sensations déracinées. Rien ne nous empêche de dissoudre lâchement nos valeurs humaines et d’annihiler la noblesse de notre espèce au profit de l’élément sacralisé. Nous nous identifions bassement à l’objet que nous revendiquons avec ostentation et que nous imposons comme référence. Nous assimilons l’objet à des valeurs de distinction qui rompent avec le commun des hommes, mais que nous nous représentons à travers des expressions subjectives et vagues dont nous détenons le monopole.
En ces temps covidiens, le GSM s’est particulièrement distingué par la proximité virtuelle qu’il offre aux «joujouphiles». C’est devenu un truc qui nous définit et nous motive. Il fait partie des gadgets et des belles parures que nous aimons trimbaler ostensiblement. Comment concevoir notre vie sans lui ? notre compagnon et allié journalier. Il sert d’exutoire à nos ennuis et moments difficiles en nous arrachant à l’oisiveté monotone et assoupissante et en extirpant nos angoisses et l’insatisfaction qui nous rongent.
Vous le prenez et le papotez incessamment pour redécouvrir sans conviction ses agréments. Rien que le fait de le toucher fortifie votre âme et confère un équilibre à vos impulsions. Nous nous identifions à cet objet, devenu obsessionnel, que nous revendiquons tenacement dans une relation devenue maladive. La moindre sonnerie ou vibration nous excite et attise notre sensibilité et notre ardeur. Répondre équivaut à exorciser nos tourments psychosomatiques et à nous libérer d’une attente interminable. Dans le tas, vous vous obstinez servilement à le solliciter pour qu’il se complaise à votre égotisme et provoque une explosion de jubilations poussant votre addiction effrénée à se magnifier et votre âme à se réduire à des instants de désillusion.
Tout le monde est conscient que le gsm joue un rôle indiscret dans le chavirement de nos relations et des valeurs, mais personne ne fait aucun effort pour se défaire de ses tentations. Au contraire, les gens se solidarisent dans le vice puisqu’ils y trouvent leur perfection ; ils aiment attenter à la vertu et à la pudeur des autres et sont assez chiants pour vous imposer leurs images et vidéos, souvent merdiques. C’est ainsi qu’ils tirent profit du malheur des gens quand ils sont vulnérables. Il est à croire qu’ils affichent la version la plus ignoble de leur personnalité : la sociopathie. Plus drôle encore, les gens croient qu’ils se situent dans une perspective psychosociologique et qu’ils pourraient comprendre le comportement humain … Qui sait ? ils pourraient par la même occasion s’aguerrir au mal et acquérir l’immunité.
Bref, avec ces joujoux, on ne fait plus la différence entre une info et une intox, ni entre un brave mec et un faux jeton, ni entre une bonne fille et une salope. On se délecte de toute la merde du monde, empilée dans les téléphones et on oublie que plus on remue la merde, plus elle pue. Ô technologie de l’engouement et de la servitude, nous te témoignons fermement notre allégeance et notre loyauté.