C’est vrai que très souvent on ne réalise la valeur de ce qu’on a qu’une fois qu’on le perd, mais des fois, il arrive que l’on soit conscient de la valeur, visiblement piètre, de ce qu’on a et qu’on a vivement envie de s’en passer. Entre l’intention et l’acte, nous sommes indécis, puisque nous ne pouvons pas nous contenter des intentions aussi bonnes soient-elles, et parce que nous sommes conscients que l’intention vaut le fait, mais nous oublions que l’enfer est foutrement pavé de bonnes intentions.
Mais quand on est pointé du doigt ou qu’on devient la matière fraîche, digressive et jouissive des apartés, on réagit, mais à la sourdine, tout en continuant à se repaître de la passivité des autres qui continueront à grommeler tout bas ce qu’ils pensent tout bas. C’est ce qui s’appelle développer un morne simulacre de conscience et d’amitié, parce que nous n’arrivons aucunement à discerner la frontière entre l’amitié et la vie professionnelle, et là, c’est toute une histoire. A vrai dire, nous avons condamné nos sentiments pour laisser la place à une immaturité émotionnelle qui se traduit par des impressions factices, et le plus extraordinaire c’est que nous nous en sortons mieux que nous ne l’aurions imaginé.
Le politiquement correcte stipule que moins vous en dites, mieux vous vous portez, mais c’est là toute l’ambiguïté : penser sans parler. Or, parler nous démange continûment au risque de travestir nos pensées et on pourrait nous comparer à un hystérique qui veut affronter et briser ce silence olympien, mais nous ne vaudrons pas mieux si nous lâchons. Il est vrai que tout ce que nous consommons à l’excès tue comme la drogue et l’alcool, mais nous voulons aussi voir ce qu’il y a de meilleur et de franc chez les gens quand ils n’affichent que leur noirceur ou du moins leur mutisme, or on nous rappelle à l’ordre : Etouffons nos intentions et donnons congé à notre parole : le silence règne … il est la vacuité de notre conscience quand il condamne la parole au mutisme. Epanchez-vous ; les autres diront que vous avez de l’avance à l’allumage, alors qu’en fait c’est eux qui ont du retard à l’allumage. Le malin, qui nous a imposé la loi du silence en assimilant ce dernier à l’or, ressemble un peu au gars, décrit par De Musset dans ses ‘Contes’, qui, pour se venger, recourt au silence, « savez-vous ce qu’est le silence du (….), lorsque, son regard muet, au lieu de vous répondre, il vous dévisage en passant et vous anéantit ? ».
Par tous les tourments moraux de notre vie et de notre métier, quand vous êtes tolérant, vous passez pour une personne généreuse dans un premier temps, puis pour une personne faible dans un deuxième temps, et à la longue, on vous taxe de con. Nous sommes conscients que ne sommes pas toujours ce que nous donnons l’impression d’être, mais nous daignons continuer à goûter la volupté de trahir nos principes sans épiphanie, parce qu’on nous a obligés à nous en séparer lâchement. Nous continuerons à développer une démagogie démesurée en nous arrêtant à des détails insignifiants, mais parfois ultra-sanglants.
Nous vivons dans un monde de doute sans avoir un peu de répondant. Nous ne contrôlons rien, mais nous restons dans l’illusion de la quête de la rédemption et du salut. Bref, l’essence d’une relation salutaire, c’est de continuer à jouer la comédie, ce que nous perfectionnons le plus, et là nous faisons semblant d’être mieux que ce que nous sommes.
Lahcen Ouasmi, Casablanca, 31 mars 2022. l.ouasmi@flbenmsik.ma