Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé ‘‘Loufisse’’ par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. La découverte fortuite des phosphates chez les Ouled Abdoun, faite en 1917, à l’occasion des travaux de la ligne de chemin de fer Casablanca/Oued-Zem, va booster l’économie du Maroc. La France qui n’a plus de paysans car ils sont tous partis mourir dans les tranchées, galvanisés par un patriotisme délétère, trouve dans le Maroc un grand réservoir compensateur de ses déficits agricoles. Les investisseurs sont encouragés par la propagande pour venir faire fructifier leurs capitaux. Dès 1914, les actuels leaders français du BTP sont déjà en place : Société Générale d’Entreprises (SGE), la Société de Construction des Batignolles (l’actuelle SPIE), les Frères Fougerolle (l’actuel Eiffage). L’histoire de ces champions français est le fruit des relations intimes entre des ingénieurs et la puissance publique.
Créée en 1899 par Alexandre Giros et Louis Loucheur, camarades de promotion à Polytechnique, l’entreprise Girolou, qui prendra le nom de SGE en 1908, parie d’emblée sur le béton armé et sur la production et distribution d’électricité. La conception et la construction des barrages à l’étranger par des sociétés françaises s’inscrivent dans la démarche de recherche de marchés hors de la Métropole, commencée dès le milieu du 19ème siècle. De 500 barrages en 1900 dans le monde entier, leur nombre s’est élevé à 5000 en 1950. Le Maroc, avec ses potentialités hydrologiques et la fertilité de ses terres, manquait d’infrastructures adéquates pour assurer l’irrigation de ses plaines. Lyautey va démarrer les travaux des premiers barrages. Le premier barrage du Maroc sera construit sur la « Mère du Printemps » (Oum Rbi3) : barrage Sidi Sa3id M3achou, entré en service en 1929. La retenue a un volume de 2 millions de m3 et sert de réserve d’eau potable pour Casablanca. Le barrage est de type barrage-poids, fait de 32 000 m3 de béton. Il a été construit par la société précitée SGE.
Un autre barrage entrera en service en 1953 : Bin El Ouidane. Il fut le plus haut barrage voûte d’Afrique en son temps. D’un volume de béton de 365 000 m3, sa retenue stocke 1 milliard 384 millions de m3. Il a été construit par les entreprises SGE et Fougerolle. La colonisation officielle des terres s’est faite par le rachat des terres dites « Guiche » qui servaient à rémunérer les tribus fidèles qui assuraient la sécurité des sultans du Maroc. Le terme « Guiche » est une prononciation égyptienne du mot arabe « Jiche » (armée). Puisque la protection du sultan est assurée par la France, Lyautey rend caduc le statut des terres « Guiche ». Il rachète aussi les biens des « 7abousses » (7abousses est une constitution de biens de mainmorte admise en droit musulman, afin de permettre, sous forme de donation pieuse, de laisser la jouissance à des dévolutaires). Lyautey rachète 50 000 hectares à de grandes sociétés foncières et confisque 30 000 hectares appartenant à des Allemands ou Austro-Hongrois. Il crée trois corps pour développer cette agriculture marocaine : le corps des officiers des eaux et forêts, celui des ingénieurs du génie rural et celui des inspecteurs de l’agriculture. Ce dernier corps avait, entre autres, pour mission la vulgarisation des techniques agricoles et la distribution d’engrais et de semences. La surface des cultures dans la seule région de Chaouia fut multipliée par 2 en 8 ans passant de 200 000 hectares en 1915 à plus de 400 000 hectares en 1923. Quant à la production globale, elle passe pour les céréales de 14 à 22 millions de quintaux, et pour les bovins d’un demi-million de têtes à 1 million et demi. λ (A suivre)