Je ne sais pas pour vous les amis, mais Lhaj Miloud, quant à lui, est un inconditionnel de l’essence… Contrairement à 80% de nos compatriotes, me direz-vous ! Non pas que les Marocains soient des adeptes de la pollution ou des sadomasos qui se délectent aux feux rouges des volutes de fumée noire qui se dégagent de leurs pots d’échappement… Non, nos chers concitoyens sont des gens qui se vantent de savoir compter, tout simplement et qui, surtout, ne s’en laissent pas conter !
Il y a encore une vingtaine d’années, Lhaj Miloud, lui aussi, ne jurait que par le diesel… Pour des raisons financières, bien entendu ! En dépit des efforts désespérés de nombre de commerciaux pour le convaincre de changer d’avis… Pourtant, leurs arguments ne manquaient pas de bon sens… « Une voiture diesel ne serait rentable qu’à partir de 20.000 km par an », disaient-ils… En-deçà, ce serait carrément une mauvaise affaire ! Et d’arguer que pour en évaluer le coût réel, il fallait tenir compte de l’entretien, de la vignette et des pièces détachées… Mais Lhaj Miloud n’en avait eu cure… Pour l’entretien, il se contentait du minimum, usait ses pneus jusqu’à la corde et faisait ses vidanges en retard… On n’est quand même pas à deux ou trois mille kilomètres près, n’est-ce pas ? Quant aux pièces détachées, il avait un bon ami ferrailleur qui arrivait toujours à lui dénicher la perle rare à moindre prix… Et dans le pire des cas, il se rabattait sur des pièces dites adaptables qui, selon lui, faisaient tout autant l’affaire et qui coûtaient moitié prix… Merci à nos amis chinois de nous avoir arrachés au diktat des services après vente des grands constructeurs !
Tout ce qui comptait donc à cette époque pour Lhaj Miloud, c’était le prix du plein de carburant… Et là, effectivement, il n’y avait pas photo… Un différentiel de 25 à 40%, il n’était pas question de cracher dessus, surtout en sa qualité de cadre moyen, au salaire tout aussi moyen, qui galérait pour boucler les fins de mois… Vous en savez quelque chose, vous aussi les amis, n’est-ce pas ? Il faut dire qu’en bon mouton de Panurge, il avait aussi cédé à la pression de la majorité bruyante et paupérisée ! C’est ainsi que pendant une quinzaine d’années, Lhaj Miloud ne connut que « les délices » du diesel…
Trahison
Réalisant, certes, quelques maigres économies au passage mais au prix de bien des désagréments, que vous connaissez tout aussi bien que lui ! Notamment le fait de devoir laisser chauffer la voiture pendant plusieurs minutes chaque matin, sans oublier le bruit du vieux moteur toussant, crachotant et menaçant de rendre l’âme à chaque instant ! Last but not least, les émanations pestilentielles qu’il dégageait, polluant l’atmosphère à 100 à la ronde ! Lhaj Miloud ne manque d’ailleurs pas de culpabiliser à ce sujet au souvenir d’un malheureux concierge qui avait failli y rester, obligé qu’il était de respirer quotidiennement les émanations des véhicules diésélisés des copropriétaires, sa loge étant située dans le garage de l’immeuble, avec une aération pour le moins défaillante…
Et puis, un beau jour, Lhaj Miloud eut la révélation ! Une révélation étroitement associée, il faut le dire, à une promotion tardive lui permettant enfin de bénéficier d’une coquette voiture de service roulant à l’essence et d’une dotation de carburant assez conséquente… C’était le moment ou jamais de prendre une décision majeure dans sa vie d’automobiliste en changeant de camp pour rejoindre celui de « la haute »… Une trahison de classe sociale qui, au passage, laissa nombre de ses amis désemparés ! Fini le temps perdu à faire chauffer le moteur chaque matin, au risque de tomber par la suite sur les inévitables embouteillages provoqués par les lève-tard impénitents ! Son changement de statut social aidant, Lhaj Miloud décréta solennellement à partir de ce moment-là que le gasoil n’était qu’un carburant pour prolétaires, ne jurant plus que par le fuel… Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, quelques années plus tard, et en retrouvant un poste sédentaire, il se vit sevré de ses bons d’essence précieux… Qu’à cela ne tienne, il se décida, toutes réflexions faites, à rester fidèle à ses nouvelles amours… Plus question d’opter de nouveau pour le diesel, il l’aurait vécu comme une véritable déchéance personnelle ! En dépit des augmentations successives intervenues depuis sur le prix de l’essence, et même après la libéralisation de son prix qui se traduisit par un renchérissement conséquent, Lhaj Miloud tint bon ! Il essaya même, avec le zèle des nouveaux convertis, de faire à son tour acte de prosélytisme en convertissant à sa nouvelle croyance de nouveaux adeptes… Une mission pour le moins périlleuse… Jusqu’à l’avènement de la crise actuelle!
Une crise venue enfin le confirmer dans ses nouvelles convictions et lui prouver à quel point il avait eu raison de rester droit dans ses bottes… Oui, pour la première fois, le prix du gasoil a dépassé celui de l’essence, en ce 1er avril 2022… Non, ce n’est pas un poisson d’avril ! Et c’est d’indépendance politique qu’il est question. Pour ce qui est de l’énergétique, ce n’est pas demain la vieille ! A quelque chose malheur est bon, l’électrochoc subi par nos concitoyens va enfin leur ouvrir les yeux et leur faire envisager une conversion prochaine… Comme le Covid-19 avait permis de créer de nouvelles opportunités économiques, la victoire de l’essence dans la longue guerre des carburants va créer certainement une rupture salutaire… Dans une dizaine d’années, les Marocains rouleront sans doute majoritairement en essence… En attendant l’hybride, inchallah !