La réunion ministérielle des pays africains atlantiques qui s’est tenue au Maroc en présence de 21 pays, le 8 juin dernier, constitue un événement de taille eu égard aux perspectives stratégiques qu’elle ouvre pour le continent et les implications profondes de la déclaration adoptée par les participants à l’issue de cette réunion. Cette déclaration, dénommée « déclaration de Rabat » comporte, de notre point de vue, une philosophie, une méthode et une vision. La philosophie, c’est celle qui a animé les pères fondateurs de l’OUA, devenue aujourd’hui UA, qui voulaient faire du continent africain un espace intégré au service des peuples africains ; la méthode est celle qui consiste à partir de l’existant et du potentiel de l’Afrique avec en premier lieu l’exploitation et la valorisation des ressources disponibles en vue de relever les défis actuels et futurs du continent ; la vision enfin est celle développée par le Roi Mohamed VI et saluée par les participants, une vision consistant à rendre l’Afrique aux Africains pour garantir aux peuples de ce contient une vie de paix et de prospérité et faire de l’espace africain atlantique « un cadre de coopération interafricaine pragmatique et opportune ».
Partant des principaux défis qu’affronte l’espace africain atlantique, les participants à cette première conférence se sont engagés à poursuivre leurs échanges de coopération et de coordination appelant à un dialogue politique et de sécurité axé sur des thématiques de lutte contre le terrorisme, contre la criminalité transnationale organisée dans toutes ses formes, la piraterie maritime, le trafic des migrants et les prises d’otage en mer. Ils ont également appelé à des échanges approfondis pour saisir les opportunités dans les secteurs de l’économie bleue, de la connectivité maritime et de l’énergie, ainsi qu’à des concertations continues pour relever les défis environnementaux. A cette fin, les ministres des États africains atlantiques ont décidé d’établir trois groupes thématiques, chargés du dialogue politique et de sécurité, de l’économie bleue, de la connectivité maritime et de l’énergie, et du développement durable et de l’environnement. Pour ce faire, trois chefs de file ont été désignés pour diriger les 3 groupes thématiques, respectivement le Nigeria, le Gabon et le Cap-Vert. En outre, les participants ont annoncé dans leur déclaration finale, d’importantes mesures. Il a été décidé notamment de restructurer ce nouveau cadre qui est celui des pays africains atlantiques pour qu’il soit plus opérationnel et orienté vers des objectifs. D’abord, il a été convenu de réactiver le secrétariat permanent de la Conférence, basé à Rabat. Cette instance, chargée de coordonner les actions et de préparer les réunions, agirait également comme une plateforme d’échange sur les défis et les opportunités dans l’espace africain atlantique. Ensuite, il a été décidé d’instituer le processus africain atlantique de Rabat pour le renforcement de la coopération entre les États. Enfin, les ministres ont appelé à renforcer la coopération transatlantique avec les États riverains de l’Atlantique, notamment avec les pays de l’Amérique latine.
Il apparaît clairement de cette déclaration, que les participants sont animés d’une volonté forte pour aller de l’avant avec des objectifs précis et des modalités d’action claires. L’objectif ultime étant d’assurer la sécurité collective de la Région, englobant la sécurité stricto sensu, mais aussi et surtout la sécurité économique. Les deux étant intimement liées. En s’intéressant à l’économie bleue, il s’agira d’exploiter les ressources dont regorge l’océan atlantique à commencer par les ressources halieutiques, mais aussi de valoriser toutes les ressources océaniques. Il va sans dire que le développement de l’économie bleue exercerait des effets d’entraînement en amont et en aval considérables. En amont, cela conduirait à créer les bases d’une véritable industrie navale pour ne pas dépendre des grandes puissances navales, à développer la logistique maritime et la construction de grands ports à l’image du méga-port de Dakhla dont les travaux vont bon train. Ces chantiers pittoresques appellent la disponibilité d’une expertise africaine et la multiplication des centres de recherche et de formation dédiés au savoir océanographique et aux sciences de l’ingénieur. Les effets d’entraînement en aval s’exerceraient à travers la création d’une série d’activités de transformation des produits de la mer pour valoriser au mieux cette richesse et densifier le tissu productif de la région. Autant d’activités créatrices de richesse et génératrices d’emplois au bénéfice des populations africaines. Ce qui est de nature à contribuer à lutter efficacement contre la pauvreté et à réduire le phénomène migratoire.
Le groupe thématique sur l’énergie et l’environnement aura à se pencher sur les défis écologiques en relation avec la transition énergétique, devenus un impératif. A ce titre, le projet du gazoduc Nigeria Maroc, qui bénéficie d’une large adhésion des pays concernés, pourrait constituer le fer de lance de l’indépendance énergétique.
L’ouverture sur les pays riverains de l’Atlantique, et notamment des pays latino-américains constitue un choix stratégique dans la perspective de la transition énergétique. En effet, ces pays disposent de réserves considérables en matière de richesses minérales devant constituer la base de l’énergie de demain. Ils pourraient également devenir à terme un partenaire privilégié pour les pays africains, ce qui leur permettra de diversifier leurs alliances stratégiques et partant de consolider leur souveraineté collective. Aussi, il ne faut pas perdre de vue le rôle que pourraient jouer les phosphates, sous la houlette de l’OCP, dans l’approvisionnement des pays de la région en fertilisants, produit indispensable pour accroître la productivité agricole et résoudre à terme la problématique du déficit alimentaire dont les pays concernés pâtissent gravement aujourd’hui.
Bien sûr, la lutte contre le terrorisme et l’instauration de la sécurité sont devenues impératives. Les Etats doivent conjuguer leurs efforts et intensifier leur coopération pour l’éradiquer. Ils y parviendraient plus facilement en procédant en parallèle au développement des pays africains et en couvrant les besoins fondamentaux des populations. Par le développement, on réduirait le terreau terroriste et les espaces non sécurisés. Aussi, les pays africains n’ont d’autre choix, s’ils veulent réellement relever les défis du développement, que de suivre la voie démocratique. Un choix basé sur la mobilisation populaire et la garantie de la participation de toutes les forces vives.