Le mégaprojet du gazoduc devant relier le Nigeria au Maroc et étendu par la suite à l’Europe suscite un intérêt particulier et attire l’attention des analystes et des investisseurs. Ce projet, baptisé à juste titre, autoroute du gaz, peut être considéré comme le plus important dans le monde. De par les volumes du gaz qu’il est susceptible de transporter, la distance sur laquelle il s’étend, le nombre de pays qu’il traverse et qu’il va alimenter en gaz, la population globale qui en bénéficiera, le coût estimatif de sa réalisation et son impact attendu sur les plans économique, social et géostratégique une fois achevé. L’on comprend, par conséquent, qu’un projet de cette ampleur ne se réalise pas sans rencontrer des difficultés et des obstacles surtout à caractère technique.
En effet, depuis le lancement du projet à Abuja par SM le Roi et le Président Nigerian en décembre 2016, suivi par la signature d’un accord y afférent par les deux Chefs d’Etat le 10 juin 2018 à Rabat, il y a eu une série de réunions techniques entre les responsables des deux pays et des consultations multiples avec les milieux financiers et les investisseurs potentiels. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que ce projet est fiable et réalisable. Le fait que la Banque Islamique de développement (BID) y contribue pour un montant de 15,5 M $ pour financer des études techniques et le Fonds de l’OPEP pour le développement international (OFID) lui accorde la somme de 14,3M$ pour le même objectif, montre que nous sommes en face d’un projet sérieux qui a pris la bonne direction. Il faut simplement laisser le temps au temps.
Quand on sait à titre d’exemple que la réalisation du gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, via la mer Baltique, Nord Stream 1, s’est étalée sur une période de 15 ans entre la date de son lancement (1997) et la date de sa mise en service effective (2012) pour une distance de 1200 km, on réalise parfaitement le temps qu’il faudra pour réaliser le gazoduc Maroc-Nigeria. Ce dernier s’étend sur une longueur de plus de 3000 km dont une grande partie en offshore et traversera pas moins de 11 pays à savoir Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone, Guinée, Guinée Bissau, Gambie, Sénégal et Mauritanie. A l’exception de ce dernier pays, tous les autres font partie avec le Nigeria de la CEDAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Précision de taille. Ce projet dont le coût de réalisation serait d’après les premières estimations de l’ordre de 30 MM$, représente, on s’en doute, des enjeux multiples à la fois économiques, politiques et géostratégiques.
Sur le plan économique, il contribuera à dynamiser toute une région de l’Afrique à travers la multiplication des activités industrielles génératrices de richesses et créatrices d’emplois. Outre ce gain collectif qui intéresse l’ensemble des pays, le Maroc et le Nigeria, en tant que porteurs du projet et partenaires de premier plan, vont assurément en tirer davantage profit en consolidant leurs relations économiques et en développant des joint-ventures dans plusieurs domaines. Le Nigeria, aura la possibilité de mieux valoriser ses ressources en gaz naturel qui constituent avec le pétrole sa richesse principale. Il est numéro un en matière de réserves en Afrique et occupe le 7ème rang au niveau mondial. Ce qui se traduira par une diversification de ses activités et une amélioration des revenus de sa population qui dépasse les 200 millions. Le Maroc y gagnera en assurant sa sécurité énergétique à travers une diversification de ses sources d’approvisionnement et faire face à ses besoins croissants en énergie pour accompagner son développement économique.
Sur le plan politique, un tel projet donnera un coup de pouce à l’intégration africaine, en commençant par le renforcement de la CEDAO à laquelle notre pays aspire adhérer. L’intégration africaine ne se réalise pas à travers les discours pompeux et les déclarations mielleuses, mais par des réalisations concrètes et des projets structurants. Le cas de la CEE (communauté économique européenne devenue Union Européenne) est édifiant : cette communauté fut créée sur la base de la CECA (Communauté Européenne du charbon et de l’acier). Le gaz et les phosphates joueraient pour l’Afrique le rôle joué par le charbon et l’acier pour l’Europe. C’est cette intégration économique du continent qui donnerait du sens à l’intégration politique et aiderait les Etats membres à dépasser les querelles de chapelle qui ne font que retarder le développement du continent et se concentrer sur les défis communs.
Sur le plan géostratégique, le continent africain qui compte aujourd’hui une population de 1,4 milliard de personnes, soit 18 % de la population totale, verra sa population doubler d’ici à 2050 et regrouper à lui seul 25 % de la population du globe. Cette richesse humaine, combinée aux ressources naturelles variées et abondantes dont le sol africain regorge, prédispose le continent à jouer un rôle stratégique au niveau international. Pour y parvenir, il faut privilégier la coopération sud-sud afin de dégager suffisamment de synergies, pouvoir peser sur l’arène internationale et participer activement à l’instauration d’un nouvel ordre international qui se profile à l’horizon. Le monde est en passe de connaitre des mutations profondes pouvant conduire à une nouvelle redistribution des cartes et une nouvelle configuration des rapports de force.
Les événements vont s’accélérer au cours des toutes prochaines années.
Et il est temps pour le continent de s’y préparer pour ne pas rater encore une fois le rendez-vous avec l’Histoire. Alors qu’on assiste un peu partout à travers le monde à une remise en cause de la mondialisation au bénéfice de la régionalisation, l’Afrique n’a d’autre choix que d’aller dans cette voie. Ce faisant, elle deviendrait un acteur crédible sur le plan international et pèserait de tout son poids sur le cours des événements. Elle le fera avec succès en suivant la voie démocratique, en rompant les liens de dépendance à l’égard des anciennes puissances coloniales, et en comptant avant tout sur l’intelligence collective et le génie créateur des peuples africains.