À un général qui s’était précipité pour l’aider à accrocher son manteau en bafouillant maladroitement, « Permettez, votre Majesté, je suis plus grand !», Napoléon 1er répondit avec superbe, « vous voulez dire plus long » ! Il est vrai que le grand homme n’était pas… Très « long » ! D’où le surnom affectueux dont l’avaient affublé ses soldats lors de la campagne d’Italie, en l’an 1800, alors qu’il n’était encore que Premier Consul… Soldats qui se proposaient, partant de ce grade modeste, de lui attribuer une nouvelle « promotion » à chacune de ces victoires. Mais le surnom lui est resté, et il est entré définitivement dans l’histoire !
Lhaj Miloud se propose de revenir sur le destin exceptionnel de ce grand personnage, la France ayant commémoré plutôt discrètement, il y a quelques jours, le 200ème anniversaire de son décès… Le futur Empereur est né le 15 août 1769 à Ajaccio en Corse, et s’est éteint le 5 mai 1821, sur une autre île, celle de Sainte-Hélène… 1769 est une année d’autant plus particulière qu’il s’agit également de l’année où l’Italie céda l’île de beauté à la France… Il s’en fallut donc de peu que le petit « Napoléone Buonaparte » ne naisse Italien ! Et l’histoire du monde en eut peut-être été changée !
Le jeune Corse, dont les camarades de l’École militaire moquaient l’accent chantant, allait rapidement s’imposer comme un redoutable stratège militaire, et un génie politique… Il fut la bête noire des Anglais dont il contesta la suprématie… Grâce à lui, le monde allait découvrir une des civilisations les plus fascinantes de l’histoire de l’humanité, celle de l’Égypte antique… Il fit sortir le pays des Mamelouks de sa torpeur, et rêva même de prendre la tête d’un Empire d’Orient constitué sur les vestiges d’un Empire Ottoman déclinant ! Pour devenir le Sultan d’Égypte et de Mésopotamie, il envisagea de se convertir à la religion musulmane… Il faut dire qu’au-delà du pragmatisme de circonstance, Jérusalem valant bien une « Chahada », il était véritablement fasciné par l’Islam… Lhaj Miloud se prend parfois à rêverd’un scénario mythique où, sous sa poigne de fer, et grâce à son génie militaire et politique, le monde arabe aurait peut-être connu un tout autre destin… Et un Code Napoléon, accommodé à la sauce islamique « light», aurait avantageusement remplacé un droit coutumier musulman sclérosé… Ses descendants régneraient probablement encore aujourd’hui au pays des Pharaons, à l’instar de la monarchie suédoise, issue de la descendance du général Bernadotte, fidèle général de Napoléon, et installé sur le trône du Royaume de Suède et de Norvège, par la volonté de l’Empereur, comme il allait installer ses frères sur les trônes d’Espagne et d’Italie ! Lhaj Miloud se demande aussi parfois si le Maroc n’avait pas laissé filer une occasion rêvée de récupérer ses présides occupés par l’Espagne, que Napoléon se proposait de lui restituer, en contrepartie d’une alliance contre l’Angleterre ?
L’Empereur avait aussi compris que la France ne s’était jamais vraiment remise de son tragique régicide, et qu’au fond, tant le petit peuple que la bourgeoisie ne haïssaient pas la noblesse… Ils la jalousaient plutôt, et ne rêvaient tous que d’une chose, un nom à particule ! Qu’à cela ne tienne, il allait leur créer une aristocratie d’empire sur mesure, qui allait permettre aux plus méritants, et bien sûr aux plus fidèles, d’acquérir un titre de noblesse impérial ! La révolution avait nivelé les classes sociales par le bas, « moi, j’ai ennobli le peuple ! », se plaisait-il à dire…
Mais le bilan de l’Empereur est mitigé, et les Français eux-mêmes sont partagés quant au faste devant accompagner la célébration de sa mémoire… Il faut dire que l’homme qui avait imposé un code civil moderne qui continue à régir la société française jusqu’à nos jours, et qui a influencé bien d’autres peuples à travers le monde, allait aussi être celui qui allait restaurer l’esclavage… Qu’il appréhendait peut-être comme une nécessité économique incontournable à l’époque ? À moins que ça ne soit tout simplement pour les beaux yeux de sa dulcinée, Joséphine, sa première épouse, riche propriétaire terrienne créole !
Mais quel que soit leur avis sur l’épopée du « Petit Caporal », les Français ne pardonneront jamais aux Anglais la fin humiliante et indigne qu’ils allaient réserver à l’homme qui avait menacé leur suprématie… L’exil à Sainte Hélène, une île «de laideur » contrairement à la Corse, où il allait dépérir inexorablement, et où seuls allaient l’accompagner quelques rares fidèles… Dont le Général Las Cases qui allait publier le « Mémorial de Sainte Hélène », écrit sous la dictée de l’Empereur au crépuscule de sa vie, et où ce dernier revient, avec lucidité et amertume, sur les grands moments de sa vie… Et où il ne se consolait pas de ce que ces ingrats d’Européens n’aient pas compris la nécessité d’une Europe unie… Une grande Europe torpillée par la perfide Albion, encore elle, et ce bien avant le Brexit !
Son empire flamboyant allait donc rapidement s’écrouler sous les coups de boutoir des alliés… Et si son neveu allait reprendre le flambeau, en régnant sous le nom de Napoléon III, il ne fit illusion que bien peu de temps ! Second et dernier représentant de la lignée des Empereurs venus de Corse, ce fin politicien mais piètre stratège militaire, à l’opposé de son glorieux aîné, allait subir en 1870 une défaite militaire cinglante devant l’armée prussienne qui allait occuper Paris, précipitant l’avènement d’une nouvelle et sanglante révolution en France, celle de la Commune !
Le bilan de Napoléon 1er « le grand », par opposition à son neveu, souvent raillé comme Napoléon III, « le petit », fait donc toujours débat. S’il a su redonner son prestige à une France sortie exsangue des excès de la révolution, il fut aussi à l’origine de guerres sanglantes qui ont semé la mort et la désolation en Europe, au Proche-Orient et jusqu’aux confins de la Sibérie… Il avait rêvé d’une grande Europe avec Paris comme capitale, en l’imposant par le fer et le feu… Comme après lui, un certain Hitler qui rêva d’un Reich de mille ans dominé par les héritiers des Prussiens… Encore aujourd’hui, Lhaj Miloud constate que les Européens sont tous pour l’unité, à condition qu’elle se fasse sous leur férule ! Un peu comme les Arabes qui rêvent d’une grande nation de l’Atlantique au Golfe dont leurs pays respectifs seraient le fer de lance !
Si les fiers Gaulois sont aujourd’hui particulièrement partagés concernant la mémoire de leur Empereur, c’est peut-être qu’ils lui reprochent inconsciemment sa fin peu glorieuse, dans une île perdue du sud de l’Atlantique… Gageons que s’il était tombé les armes à la main au milieu de ses grognards à Waterloo, en reprenant à son compte la fameuse réplique attribuée au général Cambronne, « la garde meurt, mais ne se rend pas ! », il serait définitivement entré dans la mémoire collective comme un héros mythique… Et ils lui auraient sans nul doute pardonné ses erreurs et ses excès pour ne plus se souvenir que de ses exploits militaires et de ses conquêtes fulgurantes !