Nous avions dans notre chronique précédente montré la vulnérabilité des finances de l’Etat, en ce sens que les recettes ordinaires ne couvrent pas les dépenses ordinaires donnant ainsi lieu à une épargne publique négative et, par voie de conséquence, à un recours excessif à l’endettement. Ce qui n’est pas sans danger pour une résilience durable de nos finances publiques. Cependant, il faut bien relever que ce PLF comporte une série de mesures positives qui ont été rappelées par le Chef du Gouvernement lors de son intervention devant la Chambre des Représentants la semaine dernière dans le cadre de l’article 100 de la constitution et avant lui par la Ministre de l’Economie et des finances lors de la présentation du PLF devant les deux chambres du parlement. Sans présenter le listing exhaustif de ces mesures, on rappellera: l’augmentation du budget de la santé de 20%, soit 4,6 MM DH ; l’augmentation du budget de l’éducation nationale de 10 %, soit 6,5MMDH pour le porter à 69 MMDH ; le maintien, pour au moins l’année 2023, de la caisse de compensation en lui affectant une dotation de 26 MM DH destinée au soutien des trois produits à savoir le gaz butane, le pain du blé tendre et le sucre ; l’accroissement «conséquent» de l’investissement public d’un montant de 55 MM DH en une seule année passant de 245 MM DH à 300 MMDH, soit un taux de 22,4% ; l’exonération des droits d’importation sur un certain nombre de médicaments destinés au traitement des affections de longue durée… Tout cela mérite d’être souligné.
Cependant, une analyse attentive des chiffres nous conduit à relativiser. Car, comme on le sait, les statistiques ont ce pouvoir magique : ce qu’elles cachent est beaucoup plus important que ce qu’elles montrent. D’autant plus que ce qui est réalisé correspond rarement à ce qui est prévu et ceci pour une raison simple : alors que les prévisions se font sur la base des hypothèses, les réalisations dépendent des moyens disponibles effectivement.
C’est la différence entre le souhaitable et le possible. Par conséquent, les chiffres, malgré leur importance, ne traduisent que partiellement la réalité sur le terrain.
Prenons par exemple le secteur de la santé, l’augmentation de l’enveloppe qui lui est accordée ne va pas permettre, à elle seule, la mise à niveau de ce secteur pour pouvoir répondre aux besoins de toute la population nécessitant des soins dans une structure hospitalière publique. D’ailleurs le budget de la santé, avec l’augmentation prévue, atteindrait à peine 7% du budget général de l’Etat et 2% du PIB, ce qui nous place encore loin des normes de l’OMS et de la moyenne des pays comparateurs. Rien que le besoin en ressources humaines dans le secteur public, il est estimé, officiellement, à 12 000 médecins et 50 000 infirmiers. Par conséquent, les 5500 postes budgétaires accordés au Ministère de la santé et de la protection sociale, ne sont pas négligeables certes, mais ils présentent moins de 9% des besoins. La même remarque est valable pour le secteur de l’éducation. Il nous faudra des efforts continus à moyen et long terme pour combler le déficit en ressources humaines tout en améliorant la gouvernance.
Pour ce qui est de l’investissement public, estimé à 300 MMDH pour l’année budgétaire 2023, il se compose comme suit : près de la moitié de cette enveloppe revient aux EEP (Etablissements et Entreprises publics), soit 140,5 MM DH ; le budget général, les CST (Comptes Spéciaux du Trésor), les SEGMA, totalisent, en procédant à la neutralisation des transferts du budget vers les CST et les SEGMA, le montant de 95,5 MM DH, soit 32% ; le Fonds Mohamed VI pour l’investissement est doté d’une enveloppe de 45 MM DH, soit 15% ; les collectivités territoriales y contribuent à hauteur de 6%, soit 19 MMDH.
Ces données appellent une série de remarques. 1) L’investissement public qui représente les deux tiers de l’investissement global se caractérise par une efficacité limitée due notamment à une mauvaise gouvernance. 2) Il n’est réalisé que dans une proportion tourant autour de 70%, ce qui signifie que l’investissement effectif ne dépasserait pas 210 MMDH. 3) il est mal réparti territorialement et ne profite pas à toute la population de la même manière et par conséquent, il ne fait qu’aggraver les inégalités territoriales comme cela apparait dans le document relatif à la répartition régionale de l’investissement. Ainsi, d’après nos calculs, réalisés sur la base des chiffres disponibles, les montants de l’investissement public par habitant varient, selon les différentes régions, entre 17690 DH et 1334 DH. Bien sûr, il faut faire la comparaison sur le long terme afin de saisir les dynamiques régionales. A ce niveau, les rédacteurs dudit document relèvent effectivement une dynamique régionale des régions à faible contribution au PIB dans la mesure où elles connaissent des taux de croissance plus importants que les autres. Cette dynamique concerne essentiellement nos régions du Sud qui ont bénéficié d’investissements considérables et d’un programme de développement de plus de 80 MM DH. Mais pour l’heure, on relève toujours la concentration de la richesse dans les trois régions : Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima qui concentrent à elles seules 60% du gâteau national.
La réduction des inégalités territoriales et sociales demeure un vœu pieux. Même les collectivités territoriales qui devraient normalement y contribuer en affectant les transferts publics dont elles bénéficient à l’investissement (37 MM DH la part de la TVA transférée aux communes et 10 MM DH mis à la disposition des régions), ne mobilisent à cette fin que 19 MM DH. Le reste, soit 28 MM DH sont destinés au fonctionnement ! Une situation pour le moins anachronique qu’il faudra corriger au plus vite. Il est temps de clarifier les rapports entre l’Etat Central et « l’Etat territorial » à travers la mise en œuvre d’une politique audacieuse de décentralisation et de déconcentration qui soit en harmonie avec l’objectif stratégique de la régionalisation avancée.