Le bras de fer qui oppose le gouvernement et les professions libérales, en particulier les avocats, incite à une réflexion d’ensemble sur la politique fiscale poursuivie par les pouvoirs publics et la manière de collecter l’impôt pour assurer les ressources nécessaires au financement des dépenses publiques et faire face aux attentes des citoyens en matière de services publics de qualité. D’une façon générale, le Maroc a une politique fiscale foncièrement injuste et inéquitable dans la mesure où tous les contribuables potentiels ne contribuent pas à la charge de l’Etat proportionnellement à leurs moyens comme le stipule l’article 39 de la constitution.
La première entorse à cette règle de proportionnalité réside dans la structure fiscale elle-même. En ce sens, les impôts indirects, qui sont supportés par l’ensemble des citoyens quel que soit leur revenu et leur niveau de vie, sont largement supérieurs à l’impôt direct qui devrait être en principe proportionnel au revenu des contribuables. Dans le PLF 2023, les premiers représentent 120,6 MM DH (135,4 MMDH si on y ajoute les droits de douanes) alors que les impôts directs et taxes assimilées sont évaluées à 113,3 MMDH. Précisons que les impôts indirects sont constitués principalement par la TVA à l’importation (54,2 MM DH) et la TVA à l’intérieur (33,5 MMDH), soit au total près de 88 MMDH. En revanche, l’impôt direct provient de l’impôt sur les sociétés (61,5 MMDH) dont 80% sont supportés par 2% des sociétés, et de l’impôt sur le revenu (48 MMDH). Notons que ce dernier est supporté à hauteur de 73 % par les salariés dont le prélèvement est effectué à la source. Les autres catégories de revenus comme les revenus agricoles, les dividendes, les revenus des professions libérales et autres ne contribuent que dans la limite du quart à l’impôt sur le revenu! La loi-cadre n° 69-19 portant réforme fiscale est venue justement pour corriger ces anomalies. Elle s’est fixée un certain nombre d’objectifs dont: le rétablissement de l’équité fiscale à travers la révision des taux à la baisse au fur et à mesure de l’élargissement de l’assiette, l’incitation à l’investissement productif, le renforcement de la contribution de la fiscalité au financement des politiques de développement économique et social…
Situations de monopole
Reste à savoir si les mesures fiscales introduites dans le PLF 2023 répondent à ces objectifs d’équité et d’efficacité. Absolument pas comme on essaiera de le démontrer. Au niveau des aménagements relatifs à l’IS, ils ont profité essentiellement au grand capital au détriment de la PME. En instaurant un taux de 20% pour les sociétés réalisant un bénéfice inférieur à 100 MDH, une telle mesure sert effectivement les intérêts d’une partie des sociétés mais pénalise lourdement toutes les entreprises qui réalisent moins de 300 000 DH de bénéfice et qui sont imposées jusque-là au taux modéré de 10%. Il faut reconnaitre que doubler le taux d’imposition d’un seul coup relève de la démesure. Pour ce qui est des entreprises réalisant un bénéfice supérieur à 100 M DH, elles seront certes taxées à un taux élevé de 35% (au lieu de 31%) mais elles bénéficient en contrepartie d’autres avantages. Ainsi, le fait que leur nombre ne dépasse pas au niveau national 143 unités, d’après les chiffres officiels, elles opèrent dans des situations de monopole ou d’oligopole, ce qui leur permet de dégager des surprofits. Pour ce qui est des banques, de la CDG et des sociétés d’assurance et de réassurance, elles passeront à un taux d’imposition passer de 40% au lieu de 37%
Concernant l’impôt sur les revenus, le gouvernement n’a pas touché à la grille des taux pour soutenir les couches moyennes en voie de paupérisation. Il s’est limité à aménager timidement le taux de déduction relatif aux frais relatifs à la fonction : relèvement de ce taux de 20% à 35% pour les personnes dont le revenu brut annuel imposable est inférieur ou égal à 78 000DH, et de 20 à 25% pour les revenus supérieurs à ce seuil, tout en relevant le plafond de la déduction de 30 000 à 35 000. Cette mesure, considérée à tort par le gouvernement comme de nature à « améliorer le pouvoir d’achat » se traduirait par un gain annuel modeste variant entre 900 et 2 250 DH d’après les simulations officielles, soit un minimum mensuel de 75 DH et un maximum de 180 DH. Pressé de « boucher les trous » et de boucler son budget, le gouvernement a eu recours à des mesures mal préparées et mal conçues comme celles qui concernent les avocats et les autres professions libérales. Face à la grogne des avocats, le gouvernement a fait machine arrière et concédé des concessions de taille par rapport à la mouture originale même si la situation est loin de se calmer. Sur le fond, le gouvernement a entièrement raison dans la mesure où nulle personne ne doit se dérober face au devoir de participer à la charge de l’Etat. Le civisme fiscal est un acte de citoyenneté et une condition de montrer son attachement à la patrie et au vivre ensemble. Sur la forme, le gouvernement a procédé d’une manière maladroite et cavalière. Il devrait savoir que la retenue à la source est difficile à mettre en œuvre et que le paiement d’un taux de TVA de 20% au lieu de 10% est difficilement acceptable par la profession malgré la neutralité supposée de cet impôt. Tout cela montre que le gouvernement n’a pas une vision correcte et cohérente sur la manière de mettre en œuvre la réforme fiscale. Dans tous les cas, l’équité fiscale inscrite sur une plaque de marbre dans la loi-cadre précitée est renvoyée aux calendes grecques.