Les cireurs de chaussures

Vous aimez le poisson ? Ça tombe bien, le Maroc en regorge… Il y en a pour tous les goûts et… presque toutes les bourses ! Du poisson blanc et du poisson bleu… Du poisson dit noble et du poisson bas de gamme pour le « menu fretin » ! D’ailleurs, M’jidou Riffi en propose de toutes les espèces… Il faut le voir avec son beau triporteur estampillé INDH ! Ah, pour une belle initiative, c’en fut vraiment une, cette initiative nationale pour le développement des droits humains ! Qui redonna le sourire et un peu de dignité à bon nombre de laissés pour comptes !  Même si elle reste largement perfectible…

Nous ne nous rendons pas suffisamment compte de la chance que nous avons de disposer de deux façades maritimes et de milliers de kilomètres d’eaux poissonneuses… Curieux, cependant, que le poisson soit hors de prix sur nos marchés… Je parle du poisson blanc, calamars, crevettes, soles et autres merlans qui restent inaccessibles pour la grande majorité de nos concitoyens… Lesquels doivent se contenter de sardines ou se rabattre sur le surgelé… A leurs risques et périls, la chaîne de froid n’étant souvent que très approximativement ! Mais avec M’jidou Riffi, vous ne craignez rien, parce qu’il ne vend que du poisson frais… Une question de principe ! Et si ça ne tenait qu’à lui, il ne proposerait que du poisson fraîchement pêché par ses soins, qui sent bon l’iode, et dont les écailles rugueuses sont encore recouvertes du sable blanc de la plage… Comme au bon vieux temps de sa jeunesse où il était encore le « Raiss » et l’heureux propriétaire du « Chergui » ! Une petite barque fièrement peinte aux couleurs nationales et dont il prenait soin comme de la prunelle de ses yeux… Il partait chaque matin avec trois autres marins jeter au large ses filets qu’il laissait dériver pendant toute la matinée avant de les tirer à la force des bras avec son équipage, avec l’aide de quelques badauds… Un travail éprouvant mais exaltant… Il vendait ainsi le produit de sa pêche directement sur la plage de Oued Laou et réservait les grosses prises pour des hôtels qui lui en offraient un bon prix…  Hélas, tout cela n’est plus qu’un lointain souvenir.

Au fil des ans, le poisson a commencé à se faire rare dans sa Méditerranée natale et il a fallu aller le chercher de plus en plus loin… Voilà comment ce brave M’jidou s’est transformé de Rais émérite dans un village du nord du pays en un vendeur ambulant de poissons dans les rues de Casablanca… Mais il ne se plaint pas ! D’autres avaient sombré dans l’alcool ou la délinquance et lui au moins, il arrivait à entretenir sa famille… Ce qui le rend triste, c’est de voir des chalutiers étrangers écumer nos mers sans vergogne… « Voilà pourquoi le poisson est si cher ! », explique-t-il à qui veut bien l’entendre ! Avec le temps, il s’est fait une clientèle fidèle mais exigeante qui passe commande par téléphone et se fait livrer à domicile… Du beau monde qui ne marchande guère et qui laisse souvent de bons pourboires…

Voilà longtemps que M’jidou a perdu, en même temps que ses dents, la plupart de ses illusions… Mais comme la plupart des petites gens, il a développé une résilience à toute épreuve… C’est ainsi qu’il s’est rapidement fait à son nouveau métier… Il entretient méticuleusement son triporteur et son frigo ambulant qu’il lave à grande eau tous les jours… Quant aux déchets, il les verse dans de grands sacs en plastique qu’il ferme hermétiquement avant de les disposer dans des bacs à ordures… La préservation de l’environnement, ce n’est pas un vain mot pour lui !  Son rêve, c’est que ses enfants exercent un « vrai » travail avec un salaire régulier et une couverture sociale… Idéalement, dans l’enseignement ou l’administration ! Des métiers où on peut bénéficier d’une retraite et d’une couverture sociale… Des Droits auxquels il n’a jamais eu droit !

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