Un peu partout à travers le pays, des dizaines de camions se relaient pour piller allègrement du sable, au risque de détruire nos plages déjà squelettiques, de favoriser l’érosion et de menacer nos villes côtières ! Et alors, cher Lhaj Miloud ? On le sait, vous ne nous apprenez rien… Mais que voulez-vous, il faut bien construire des logements ! Vous savez construire des maisons sans utiliser du sable, vous ? Et du sable, on en trouve où ? Dans les plages bien sûr ! On ne va quand même pas en importer ? A moins de renoncer au blé tendre ! Et puis ça aide la mer d’avancer un peu plus chaque année, ce qui permettra du coup au plus grand nombre de disposer bientôt d’une habitation pieds dans l’eau, le plus démocratiquement du monde ! C’est juste une question de temps !
Et puis, vous n’êtes pas sans savoir, vous qui vous vous vantez d’une fibre sociale développée, qu’il y a des « impératifs sociaux » ! Ces gens, que vous pointez du doigt avec véhémence, ont des familles à nourrir, et Dieu sait qu’ils procréent allègrement ! A moins que vous n’ayez autre chose à leur proposer pour remplir la marmite ? Un poste de fonctionnaire peinard dans un bureau climatisé peut–être ? A décider du sort à réserver aux rares dossiers d’investissements déposés par les quelques téméraires qui essayent encore de faire du business en respectant les procédures administratives ?
Et il n’y a pas que nos plages qui sont en danger de disparition, d’ailleurs ! Nos forêts aussi ! Des braconniers abattent des arbres en toute impunité, au risque d’accélérer la désertification de notre pays, déjà bien entamée. On le sait… On le sait, vous dit-on ! Rien ne saurait échapper à la vigilance sourcilleuse de nos autorités omniprésentes ! Mais que voulez-vous, il faut bien faire du charbon de bois ! Pourquoi ? Mais pour faire mijoter nos savoureux tagines, dont les Marocains et les touristes sont tellement friands! Si notre cuisine est reconnue comme une des meilleures au monde, voire la meilleure, c’est grâce au tagine, vous en conviendrez ? Avec ou sans plomb, le tagine, au choix…
Et si elle occupe une place sur le podium, c’est bien grâce au tagine, donc au charbon de bois ! Et puis, là encore, il y a des impératifs sociaux ! Ces gens n’ont pas d’autres sources de revenus et ne s’adonnent pas au viril métier de bûcheron pour entretenir leur forme physique… Comment ? Des fraudeurs invétérés s’en donnent à cœur joie, en faisant de l’évasion fiscale un exercice routinier, privant l’État de recettes précieuses ? On sait, on sait ! Mais que voulez-vous ? Le fisc, disent certains y compris ceux qui ne paient rien à l’Etat, est en train de tuer la poule aux œufs d’or ! Estimons-nous déjà heureux d’avoir encore des capitalistes patriotes qui continuent à investir au bled ! Et puis, Il y a les impératifs…
Sociaux, bien sûr ! Imaginez que ces investisseurs allergiques à l’impôt décident d’aller faire des affaires sous des cieux plus cléments ? Que deviendrait toute la main-d’œuvre qu’ils emploient ? Même sous-payés et sans couverture sociale, ils ont au moins de quoi mettre un peu d’huile d’olive dans la bekkoula ! Et ce n’est pas rien par les temps qui courent, je ne vous le fais pas dire, cher Lhaj Miloud !
Des contrebandiers ont transformé nos frontières en passoires, au nez et à la barbe de nos services douaniers autistes ? On SAIT, mais que voulez-vous ? Le Marocain aime les produits d’importation mais il ne veut pas y mettre le prix ! Et vu qu’il n’est pas trop regardant sur les conditions de fabrication et de conservation de ces marchandises pourvu qu’elles portent le label « made in ailleurs », tout le monde y trouve son compte… Ou presque ! Et puis, il y a encore une fois quoi ? Les impératifs sociaux, tout à fait ! Vous avez tout compris ! Des milliers de gens survivent grâce à ce trafic, et n’ont point d’autre alternative…
D’ailleurs, depuis qu’il y a de l’eau dans le gaz dans les relations entre le Maroc et l’Espagne, et que notre pays a décidé d’étouffer le commerce des présides de Sebta et Mellilia, nos « mulets » souffrent au moins autant que les commerçants espagnols ! Et tant qu’on ne leur aura pas trouvé des activités de substitution, on risque une explosion sociale dont on pourrait bien se passer ! Vous dites? Dépénaliser le kif ? Pour des impératifs sociaux? Et sanitaires également ? On y pense, effectivement… Merci Lhaj, on voit que vous n’êtes jamais à court d’idées lumineuses !
On sait, on vous dit… On sait tout… Ne sommes-nous pas au pays des mquadmiyas et des chioukhs ? Mais la paix sociale serait à ce prix ! Fermer les yeux sur ces activités à la lisière de la loi permettrait de créer des emplois, faire vivre plein de monde et préserver la paix sociale…
Ce qu’on nous oublie, ce sont les risques écologiques encourus… La concurrence déloyale imposée à nos entrepreneurs… Les dizaines de milliers d’emplois qui, de ce fait, ne verront jamais le jour… Beaucoup de valeur retranchée pour bien peu de valeur ajoutée ! Et ça, on ne le sait pas… Ou on préfère l’ignorer ! A cause du non-dit des « impératifs sociaux», évidemment…