La réunion du Conseil de Bank Al Maghrib du 21 mars dernier n’est pas passée inaperçue. La conjoncture économique et sociale du pays aidant, ce rendez-vous trimestriel de la Banque Centrale était attendu par l’ensemble des acteurs économiques et politiques. Le communiqué publié à l’issue de ce Conseil apporte du nouveau et ne manquera pas de susciter la réflexion et de relancer le débat autour des questions économiques et sociales de notre pays et des perspectives à moyen terme.
Bien sûr, on s’abstient de toute spéculation sur les motivations ayant conduit la Banque à retirer ledit communiqué de son site quelques heures après sa publication avant de le remettre le lendemain. Il aurait été sage de la part des dirigeants de la Banque d’en expliquer eux-mêmes les raisons pour ne pas prêter le flanc aux diverses spéculations et à une série d’interrogations qui dépassaient tout entendement. Toujours est-il, et c’est le plus important, que ledit communiqué n’a subi aucune modification. Pour le reste, libre à chacun de faire ses propres conjectures et de donner libre cours à son imagination.
Comment se présente la situation du pays d’après l’analyse de Bank Al Maghrib ? Dans l’ensemble, le tableau dépeint par la Banque Centrale est sensiblement différent de la situation que nous présente le gouvernement.
Ainsi, les principales hypothèses sur la base desquelles le gouvernement a élaboré la loi de finances 2023 sont devenues caduques. Alors que le gouvernement tablait sur une production céréalière moyenne de 75 M qtx, les projections de Bank Al-Maghrib, élaborées sur la base des données disponibles au 10 mars 2023, s’attendent à une récolte céréalière autour de 55 millions de quintaux. Sachant que même cette estimation demeure tributaire des conditions climatiques au cours des semaines à venir. Par conséquent, la valeur ajoutée agricole augmenterait de 1,6% en 2023 (contre 12,9% prévus initialement par la loi des finances). Pour leur part, les activités non agricoles devraient poursuivre leur ralentissement en 2023, avec une progression de leur valeur ajoutée de 2,7 % (contre 3,1% selon les prévisions de la loi de finances). Au total, la croissance de l’économie nationale devrait connaitre un taux modeste de 2,6% cette année (contre 4% attendus initialement).
Cependant, c’est au niveau de l’inflation que le fossé s’élargit le plus entre les prévisions initiales (2%) et les données actualisées en partant des derniers chiffres relatifs au mois de février. Ainsi après un taux d’inflation de 6,6% enregistré en 2002, on s’attend à un taux de 5,5% pour l’année en cours dont 1,7% concerne uniquement le mois de février
L’analyse des données publiées par le HCP nous amène à dégager deux enseignements majeurs : en premier lieu, nous sommes en face d’une inflation qui touche principalement les produits alimentaires de première nécessité et dont la consommation est incompressible, ce qui explique largement la grogne populaire ; ensuite, elle est fondamentalement domestique contrairement aux dires du gouvernement qui privilégie la thèse d’une inflation importée. A vrai dire, l’inflation s’expliquerait par plusieurs facteurs à la fois: le renchérissement des intrants importés, la faiblesse de la productivité dans les secteurs producteurs de biens alimentaires entrainant une augmentation des coûts de production, l’existence de monopoles et d’oligopoles dans un certain nombre d’activités donnant lieu à des superprofits, des insuffisances en matière de régulation, l’existence de pratiques spéculatives faussant le jeu du marché et les règles d’une libre concurrence, la priorité à l’exportation au détriment du marché intérieur…
Controverses théoriques
C’est dire toute la complexité du problème qui nous oblige à faire preuve de modestie intellectuelle. Mais si personne ne détient une baguette magique, on ne peut s’empêcher pour autant de prospecter un certain nombre de pistes en procédant à une hiérarchisation des solutions en remontant du simple au complexe. Chaque mesure est évaluée par rapport à ses résultats. Ainsi, la décision prise par le Conseil de Bank Al Maghrib consistant à relever le taux directeur de 50 points de base pour le porter à 3% ne nous parait pas en toute logique appropriée pour une raison simple: l’inflation a poursuivi son envolée en dépit de l’utilisation de cet instrument monétaire à deux reprises : septembre et décembre 2022. Ce constat nous dispense de rentrer dans les controverses théoriques.
Le bon sens voudrait que lorsqu’on administre un traitement à un malade, on doit suivre l’évolution de sa santé pour savoir le degré d’efficacité du médicament prescrit. C’est exactement ce qui devrait se passer dans le traitement de l’inflation. S’il n’y a pas d’amélioration, il vaudrait mieux arrêter le traitement et prospecter d’autres palliatifs ne serait-ce que pour réduire les effets secondaires.
Le gouvernement pour sa part reconnait publiquement que les mesures qu’il a prises jusqu’à maintenant n’ont pas atteint l’objectif escompté à savoir la maitrise de l’inflation. Il s’agit entre autres des subventions accordées aux transporteurs et du maintien de la caisse de compensation. Cependant, le gouvernement ne doit pas se limiter à faire un constat d’échec. C’est le moment, face à l’urgence, de passer à autre chose et de tester d’autres moyens comme l’octroi d’une aide directe aux personnes nécessiteuses, la valorisation des petits salaires et pensions, en plus de l’élaboration d’un plan à moyen terme portant sur la révision d’un certain nombre de programmes sectoriels, la réorganisation des circuits de distribution, la lutte contre les spéculateurs et l’éradication des situations de rente et de monopoles privés. Une telle démarche se recoupe en partie, mais en partie seulement, avec celle défendue par le Haut-Commissaire au Plan dans une interview accordée à un journal électronique (Médias 24). En effet, estimant que le levier monétaire n’est pas approprié pour réduire l’inflation, il nous invite à apprendre à vivre avec tant elle est devenue structurelle. Pour lui, le levier à activer consiste à entreprendre « des réformes structurelles de nos politiques de production ». On aurait aimé, cependant, pour clarifier davantage le débat, que notre ami Lahlimi nous précise ce qu’il entend par « vivre avec l’inflation ». Certainement pas en abandonnant les citoyens démunis à leur sort. Ce débat est certainement utile pour le pays. Le gouvernement a, dans tous les cas, l’obligation politique et morale de prendre la question du pouvoir d’achat au sérieux.