Nécessité d’un PLF 2023 anti-crise

Le projet de loi de finances 2023, dont on ne connait pas encore le contenu, à l’exception des quatre priorités figurant dans la note de cadrage envoyée par le Chef du gouvernement aux différents départements ministériels et quelques rares indications éparses annoncées à l’occasion de la rencontre entre le gouvernement et les partenaires sociaux, est très attendu pour être au fait des véritables intentions de l’exécutif. Le prochain PLF devrait en principe traduire le programme gouvernemental et refléter les promesses sur la base desquelles les partis de la majorité ont obtenu la confiance des électeurs.

La situation qui prévaut aujourd’hui tant sur le plan international que national est pour le moins difficile. Le monde vit sérieusement sous la menace d’une récession qui risquerait de faire beaucoup de mal avec son cortège de chômage, d’inflation, de détérioration du pouvoir d’achat. Les prévisions de la croissance au niveau mondial sont révisées à la baisse d’un trimestre à un autre. Après la reprise de 2021 dont on espérait qu’elle constituât le début d’un cycle durable, on a assisté à un renversement de tendance sous l’effet conjugué d’une série de facteurs ayant bouleversé en quelque sorte l’ordre mondial, à telle enseigne qu’il est plausible de dire, en citant Antonio Gramsci, que « le monde ancien se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre ». Toutefois, une chose est certaine, nous vivons effectivement une phase historique particulière marquée notamment par les incertitudes et le brouillard. C’est dire que les recettes du passé ne sont plus de mise. Seuls les gouvernements qui ont le sens de l’imagination et de la créativité seraient capables   de s’en sortir.

Dans un tel contexte, comment se positionne notre gouvernement face à ces chamboulements ? Comment se comporte-t-il face à cette complexité afin que notre pays prenne toute sa place dans la nouvelle configuration mondiale qui se profile à l’horizon ? Quelles mesures compte-t-il mettre en œuvre pour réponde aux attentes légitimes de la population et notamment de ceux qui « n’ont pratiquement rien en face d’une minorité qui a tout » pour reprendre cette déclaration d’une jeune marocaine devant la Commission sur le Nouveau Modèle de développement. A une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles. Mais à lire la note de cadrage, on n’a pas l’impression que le gouvernement est conscient de l’ampleur des difficultés et de la gravité des souffrances de notre peuple. Il continue de gérer le pays avec les mêmes paradigmes, la même méthode et les mêmes outils d’analyse. Sa référence à l’Etat social ressassé à chaque occasion a du mal à s’ancrer sur le terrain et à se faire sentir par les citoyens. Le sujet numéro un qui préoccupe nos citoyens est celui du pouvoir d’achat qui fond comme neige sous le soleil. Et c’est à ce niveau-là que l’action du gouvernement est appréciée.

Certes, des mesures ont été prises telles que l’augmentation du budget alloué à la caisse de compensation pour maintenir les prix des produits subventionnés (gaz butane, sucre et farine nationale) à leur niveau, les transferts allouées à l’ONEE pour soutenir le prix de l’électricité, le soutien accordé aux transporteurs pour atténuer l’impact de l’augmentation du prix des hydrocarbures et tout récemment l’augmentation du SMIG et du SMAG décidée dans le cadre du dialogue social. Tout cela mérite d’être mis à l’actif de l’action gouvernementale. Cependant, il s’agit de mesures parcellaires et partielles qui ne dépassent pas le niveau de saupoudrage et qui ne s’inscrivent pas dans une vision d’ensemble. Prenons le cas de l’augmentation du SMIG et du SMAG : outre le fait que cette valorisation couvre à peine la moitié de l’augmentation des prix des biens alimentaires, qui constituent l’essentiel du panier du smigard, elle ne concerne qu’une fraction limitée des travailleurs dans le secteur structuré, ne dépassant pas 25%.  Les autres, tous les autres sont oubliés : c’est le cas des travailleurs qui gagnent plus que le SMIG, des 4 à 5 millions de personnes «salariés» dans l’informel, des retraités titulaires de pensions modestes, de millions de personnes  sans revenu fixe ou dépourvues de toute ressource.

Un gouvernement qui plaide pour un Etat social se doit d’apporter des solutions concrètes et durables à la question du pouvoir d’achat et en faire la priorité des priorités de sa politique. Des solutions existent et sont testées par plusieurs pays de par le monde. On citera à titre d’exemple, l’indexation de l’IR sur le taux d’inflation, le plafonnement des prix de certains biens de première nécessité, dont celui des hydrocarbures, l’octroi des aides directes aux personnes nécessiteuses…

La deuxième priorité réside, à notre sens, dans la consolidation de notre souveraineté économique afin de réduire notre dépendance vis-à-vis du marché mondial. On doit absolument tirer les enseignements de la crise-covid et des difficultés rencontrées suite aux perturbations des chaines de valeur mondiales, pour s’approvisionner en toute sécurité sur le marché mondial. Il s’agit de notre sécurité alimentaire, de notre sécurité industrielle, de notre sécurité énergétique et de notre sécurité médicale pour ne parler que de ces quatre dimensions. Ce sont des problématiques qui ne se résolvent pas par des professions de foi ou par déclarations de circonstances.  Elles nécessitent des ruptures dans les choix en vigueur, des remises en cause d’un certain nombre de dogmes et du dépassement des intérêts catégoriels au bénéfice de l’intérêt national et rien d’autre.

Force est de reconnaitre que sur l’ensemble de ces questions, on observe une certaine hésitation dans la mesure où les tendances conservatrices l’emportent sur les velléités réformatrices. Il faudrait donc au préalable exprimer une volonté politique forte pour le changement. C’est cette même volonté qui doit être affichée pour entamer les réformes sociétales et structurelles injustement ajournées ou mal appliquées et vidées de leur véritable contenu. Nous pensons à la réforme fiscale telle qu’elle a été définie par la loi-cadre, à l’intégration du secteur informel dans le secteur moderne, à la lutte contre la corruption endémique, au démantèlement de l’économie de rente et aux pratiques clientélistes diverses.

Ce faisant, on donnera le gage pour le sérieux. C’est à cette condition que les Marocains, et la jeunesse en particulier, retrouveront le droit chemin qui les conduira à se réconcilier avec le politique. Seules las Nations soudées et réunies autour des objectifs démocratiquement élaborés, seraient en mesure de relever les défis et de franchir les obstacles rencontrés sur leur chemin. Les peuples sont capables de réaliser des miracles. Il faut simplement respecter leur dignité et croire à leur génie.

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