Bien que le Maroc se soit fixé comme objectif d’accéder au rang des pays émergents, sans arrêter une échéance précise, cet objectif tarde à se réaliser alors que certains pays qui étaient au même niveau que lui dans les années 60 du siècle dernier ont réussi leur transition vers l’émergence. Voire accéder au rang des pays développés. L’exemple de l’Espagne et de la Corée du Sud en atteste.
Pour mettre le lecteur non averti au parfum du sujet, il serait utile au préalable de préciser ce qu’on entend par « émergence » ou pays émergent. Cette notion couramment utilisée dans le langage des institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI, se réfère à un certain nombre d’indicateurs. Un pays émergent, souvent appelé « marché émergent », se situe entre les pays développés et les pays en développement. Ces pays connaissent une croissance économique rapide, une industrialisation accrue et une amélioration des conditions de vie. Plusieurs conditions sont souvent nécessaires pour qu’un pays soit qualifié de pays émergent : 1) Une croissance économique rapide soutenue par un développement industriel ou une modernisation des infrastructures ; 2)Une économie diversifiée ; 3) Une infrastructure moderne et performante ; 4) Une Ouverture aux marchés internationaux avec une amélioration de la compétitivité économique et de l’attractivité des IDE ; 4)Un environnement économique stable et favorable à l’investissement ; 5)Une forte croissance démographique, accompagnée d’une urbanisation avec une main-d’œuvre jeune et dynamique, tout en stimulant la demande intérieure ; 6)Un niveau d’éducation plus élevé et de meilleurs services de santé contribuent à améliorer la productivité et le bien-être général. On peut introduire d’autres critères comme le niveau de participation de la femme à l’activité économique, les dépenses publiques consacrées à la recherche scientifique et à l’innovation…
Quand on prend ces critères en considération, on se rend compte que le Maroc a encore du chemin devant lui pour devenir un pays émergent et se frayer la voie vers un réel développement. Et si un certain nombre de pays ont pu réussir la transition, c’est parce qu’il y a eu d’abord une volonté politique tout en bénéficiant d’un contexte favorable. Pour prendre l’exemple des deux cités auparavant, à savoir l’Espagne et la Corée du Sud, ils ont bénéficié chacun de certaines conditions favorables. Sans trop nous appesantir sur cette problématique largement traitée dans la littérature économique, il faut rappeler brièvement les données suivantes. D’abord pour l’Espagne, ce pays a réussi parfaitement sa transition démocratique pour dépasser l’ère franquiste et rentrer de plain-pied dans une vie démocratique normale avec une alternance réussie entre les principales forces politiques. D’autre part, l’adhésion de l’Espagne à la communauté économique européenne le 1er janvier 1986 a créé un véritable catalyseur pour accélérer le développement à travers notamment l’afflux des aides communautaires et l’activation du fonds d’intégration régionale. Des investissements massifs ont eu lieu dans l’infrastructure, la recherche scientifique et le social. Aujourd’hui, l’Espagne est non seulement un pays émergent, mais un pays développé, membre de l’OCDE.
Points de blocage
La Corée du sud dans un contexte relativement différent de celui de l’Espagne, a bénéficié à son tour, pour des raisons géostratégiques, d’une aide considérable des Etats-Unis, outre l’effort consenti au niveau interne avec le rôle prépondérant de l’Etat. Son succès est souvent qualifié de « Miracle sur le fleuve Han », en référence à la transformation économique radicale qu’elle a connue. Ce miracle est réalisé par la conjugaison des éléments suivants : Leadership politique fort et planification centralisée ; Investissements massifs dans l’éducation ; Développement d’une culture du travail axée sur la performance ; Investissement dans la recherche et l’innovation technologique ; Ouverture économique et intégration aux marchés mondiaux. Le développement était d’abord initié par l’Etat, les conglomérats privés (Les Chebols) ont pris la relève par la suite comme Samsung, Hyundai et LG, devenus les moteurs de l’industrialisation.
A la lumière des développements précédents, nous pouvons dire que le Maroc est à mi-chemin vers l’émergence. Il a perdu beaucoup de temps après l’indépendance dans des luttes intestines autour du pouvoir entre les différents factions politiques.
Le pays était hésitant entre la planification et le laisser-faire, entre l’interventionnisme et le libéralisme débridé. Ce qui a crée un climat de méfiance et un relâchement de mobilisation en l’absence de chantiers mobilisateurs à l’exception de la construction de la route de l’Unité et de l’épopée de la Marche Verte qui a créé un élan d’espoir en déclenchant un processus démocratique ayant connu, à son tour, des hauts et des bas. De ces « années de plomb » comme on les appelle, on retient deux réalisations : la mise en place des bases d’un Etat moderne avec un penchant vers le côté répressif et l’édification des grands barrages.
C’est avec l’accession au trône du Nouveau Roi dans des conditions relativement apaisées que le Maroc est rentré dans une nouvelle ère en se donnant des objectifs stratégiques et en prenant la direction qui nous mène à bon port. Au cours ce quart de siècle du Nouveau règne, le bilan est plus que positif. Les chiffres sont parlants d’eux-mêmes. Et il serait fastidieux d’énumérer toutes les réalisations même si nous enregistrons encore des points de blocage qu’il convient de résoudre au plus vite. Ainsi, des progrès substantiels ont été réalisés en matière d’infrastructure, des programmes sectoriels ont été lancés dans l’agriculture, l’industrie, le tourisme, le numérique, l’énergie renouvelable, l’eau …, des réformes sont en cours dans l’éducation, la santé, la lutte contre la pauvreté. Certaines réformes aboutissent à de bons résultats, d’autres piétinent faute d’engagement des acteurs sur le terrain.
Sur le plan international, le Maroc a réussi à diversifier ses relations en s’ouvrant sur le continent africain et en établissant des partenariats équilibrés avec les grandes puissances en adoptant une politique de non alignement actif. Grâce au leadership de SM le Roi, la parole du Maroc est devenue audible et respectable et le Maroc est considéré comme un partenaire crédible. Ce qui est très important.
Mais chaque médaille a son revers. Ainsi, le Maroc souffre d’un certain nombre de handicaps et d’insuffisances. Nous mentionnons successivement les domaines suivants :
– la vulnérabilité et la pauvreté d’une fraction importante de la population suite à la place qu’occupe le secteur informel qui emploie un tiers de la population active ;
– les disparités sociales et territoriales en élargissement ;
-la faiblesse de la productivité du travail en raison de la mauvaise qualité de la formation et de la faiblesse de l’investissement consacré à la recherche scientifique et à l’innovation ;
-le chômage endémique des jeunes ;
– la dépendance de l’agriculture, qui emploie encore un tiers de la population, des conditions climatiques ;
– la persistance de l’économie de rente et d’un « capitalisme de connivence » qui fausse le jeu de la concurrence et de l’égalité des chances ;
-l’aggravation de la corruption devenue une véritable gangrène qui touche l’ensemble des secteurs y compris les opérations électorales et décourage ainsi les investisseurs tant nationaux qu’étrangers.
Il faut que le Maroc s’y mette sérieusement pour corriger ces dysfonctionnements et remettre le pays sur les rails du progrès. Le Nouveau Modèle de Développement, élaboré d’une façon consensuelle et selon une méthodologie participative, a fixé les objectifs pour 2035 et les moyens d’y parvenir. Il faut que toutes les forces vivantes du pays s’y impliquent sous le leadership du Roi si on ne veut pas rater le rendez-vous avec l’histoire. La course se gagne avec des chevaux de race et non avec des canards boiteux.