Le rapport de la Cour des Comptes pour 2021 vient d’être publié. Il ne déroge pas à la règle tant sur le plan méthodologique que sur le plan des faits analysés et des secteurs qui sont passés au « scanner ». Présenté en deux versions : une version exhaustive disponible pour le moment uniquement en arabe ; une version résumée de 150 pages présentant les principaux axes en mode condensé.
Le rapport traite successivement le suivi des chantiers des grandes réformes (fiances publiques, système de protection sociale, système d’investissement, réforme fiscale, et secteur des établissements et entreprises publics) ; en deuxième lieu, il s’attaque au contrôle de la gestion et l’évaluation des programmes et projets publics en traitant successivement les secteurs financiers, le secteur de la santé, les secteurs de l’éducation, de la formation et de l’enseignement supérieur, les secteurs productifs (soutien au tourisme, l’agrégation agricole…), la culture, les secteurs administratifs, gouvernance et développement territorial. Le rapport se termine par l’analyse du suivi de la mise en œuvre des recommandations émises par la Cour, les déclarations du patrimoine auxquelles sont astreints les hauts responsables et l’audit des finances des partis politiques.
On le voit, c’est un document riche, bien fouillé et bien fourni en analyses et recommandations. Il ne se limite pas à relever les défaillances, à enregistrer d’éventuelles malversations et de mauvaises affectations des deniers publics. La Cour prononce des jugements et des arrêts, soumet au parquet les affaires qu’elle considère relevant du pénal et fait des propositions en vue d’inciter les parties concernées à améliorer leur gouvernance et à corriger leurs défaillances.
Dans cette chronique, on se limitera au seul secteur de la santé qui a fait l’objet d’une attention particulière de la Cour des Comptes eu égard au contexte actuel marqué par la mise en œuvre du chantier de la généralisation de la protection sociale et en premier lieu de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO). Passons sur les ressources humaines dont tout le monde reconnait l’ampleur du déficit à combler couplée à une répartition régionale déséquilibrée. Ainsi, bien que la densité des agents de la santé (personnel médical, infirmiers et techniciens de la santé) ait connu une légère augmentation au cours de la décennie 2011-2020 passant respectivement de 15, 1 agents à 16, 4 agents pour 10 000 habitants, force est de constater que cette légère amélioration est due essentiellement à l’augmentation du nombre de médecins. Laquelle augmentation a profité au secteur privé. Ainsi si la densité des médecins est passée au cours de la décennie retenue de 6,1 à 7,1 pour 10 000 habitants, elle est due à l’augmentation de la densité dans le secteur privé passant respectivement de 2,5 à 3,8 contre une baisse de 3,6 à 3,3 dans le secteur public. Dans tous les cas, secteur public ou secteur privé, le Maroc se situe loin des normes fixées par l’OMS, à savoir 44,5 agents de santé pour 10 000 habitants.
Benchmarking
Pour y parvenir, il faut tripler le nombre actuel de médecins, d’infirmiers et de techniciens de santé. Mission impossible en l’état actuel. Et si on y ajoute la répartition déséquilibrée entre régions, variant de 1 à 3, l’équation se complique davantage. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la politique, ou mieux l’absence de politique, des médicaments. Les données avancées par la Cour des Comptes sont pour le moins révoltantes. Que dit la Cour?
1- Notre système de santé demeure sous encadré juridiquement, dans la mesure où une dizaine de textes règlementaires prévus par le code du médicament et de la pharmacie ne sont pas encore publiés.
2- Certaines dispositions relatives à l’encadrement des médicaments, en particulier celles qui portent sur le stock de sécurité, sont confuses.
3- Un cadre juridique favorisant l’importation au détriment de la production locale.
4- Un cadre juridique peu incitatif au développement des médicaments génériques.
5- L’existence de certains médicaments fondamentaux en situation de monopole.
6- La commercialisation de certains médicaments sans l’autorisation préalable.
7- La faiblesse et le non-respect des programmes de contrôle et d’inspection. Et la liste des observations de la Cour n’est pas limitative.
Revenons à présent au problème qui a suscité des interrogations, à savoir le prix de vente des médicaments au public et qui n’est que la conséquence des désordres et du laisser-aller. En effet, le prix du médicament est déterminé par trois composantes : le prix sortie usine hors taxes, la marge du grossiste, la marge du pharmacien détaillant et la TVA. Rappelons que le prix sortie usine est comparé à un groupe de pays comprenant l’Espagne, le Portugal, la France, la Belgique, la Turquie et l’Arabie Saoudite. On relève cependant que les marges bénéficiaires au Maroc dépassent de loin celles qui sont en vigueur dans le groupe benchmarking. Ainsi, les marges prélevées par les grossistes varient entre 11% sur les médicaments dont le coût de fabrication, hors taxes, est inférieur ou égal à 588 DH et 2 % pour le reste des médicaments. En revanche, au niveau des pharmacies, ces marges varient entre 47% et 57% dans le premier cas et 300 à 400 DH par boite de médicament dans le second. D’une façon générale, une comparaison avec les pays du benchmark a abouti aux résultats suivants : en Turquie, les marges bénéficiaires pour les grossistes varient entre 4% et 9% sur les médicaments dont le prix sortie usine est inférieur ou égal à 222 DH et 2% pour les médicaments dont le prix est supérieur à ce montant. En France, ces marges sont de 6,93% pour les médicaments dont le prix est inférieur ou égal à 4966 DH en appliquant un maximum de 3196 DH et un minimum de 340 DH.
Pour ce qui est des marges du pharmacien, le taux est de 57% pour le médicament dont le prix sorite usine est inférieur ou égal à 166DH alors qu’il ne dépasse pas 25% en Turquie, 5,58% au Portugal, 21,4% en France et 6,42% en Belgique. S’y greffe la TVA qui ne fait qu’aggraver la situation. Si certains médicaments traitant les maladies infectieuses et dont le prix sortie usine hors taxe dépasse 588 DH, sont exonérés, le reste des médicaments est soumis à un taux d’imposition de 7% contre 2,1% en France, 4% en Espagne et 5% au Portugal. Dans l’ensemble, 4587 médicaments sur un total de 7766 sont soumis à la TVA.
Il reste à préciser que les informations que nous avions recueillies auprès de sources sûres et crédibles sont différentes de celles avancées par la Cour des Comptes. Ainsi, selon nos interlocuteurs, les taux de marge bruts des pharmacies sont de quatre niveaux en fonction du prix du médicament tel qu’il est facturé par le grossiste. Pour les médicaments dont le prix est inférieur ou égal à 100 DH, la marge est de 34%; entre 101 et 999 DH, la marge est de 30% ; entre 1000 et 2000, la marge est fixée à un forfait de 300 DH ; au-delà de 2000 DH, c’est un forfait de 400 DH.
Nos interlocuteurs précisent, par ailleurs, que l’écrasante majorité des pharmacies réalisent un chiffre d’affaires ne dépassant pas en moyenne 1 000 000 DH, ce qui dégage une marge brute annuelle de 300 000 DH. La marge nette, après déduction des frais du personnel et d’autres charges fixes, se réduirait à peu de choses. Nous avons estimé utile de verser ces éléments dans le débat pour apporter des jugements basés sur des données objectives mettant dans la balance l’ensemble des variables. Il manque d’ailleurs à ce tableau le prix sortie usine auquel se réfère la Cour des Comptes sans en préciser le montant. En tout état de cause, ce dossier des médicaments doit nous inciter à un débat démocratique conduit dans la transparence et la sérénité pour faire toute la lumière sur ce sujet.