Il peut vous arriver de croire que votre suffisance morale et intellectuelle vous comble et que le reste des expériences n’est qu’un amas de contingences sans incidence. Or, la vie nous apprend beaucoup de choses parce que nous les vivons. L’histoire de notre espèce a toujours été définie par l’affrontement et la guerre. Nous vivons avec ce qui nous hante intimement, ce qui fait de nous les victimes des collisions entre le désir, ou l’ambition, et l’ignorance ou cette mauvaise perception de notre métier et de son garde-fou ou garde-corps. Le syndicat, une structure scindée en deux : pour et contre, les engagés et les désengagés, ceux qui y croient aujourd’hui et ceux qui y ont cru un jour. Il fut un temps où le syndicat pouvait rassembler et faire trembler. De nos jours, un syndicat sert à tenir des réunions ou des assemblées et à envoyer des communiqués. La chansonnette badine du syndicat militant, mais inféodé, n’emballe plus personne.
Pire encore, le syndicat est devenu coupable de désertion à l’ennemi – le système – et tend à suivre la politique du pire. Dans cette histoire, si on mêle l’approche hérétique et séparatiste aux tractations, il va falloir composer avec les aléas de la situation, et comme dit le proverbe, tout nouveau tout beau. Le syndicat, c’est comme un chien de garde ; il est sympa tant qu’il est dévoué, mais quand il n’est plus fidèle, on l’accuse de la rage et on le noie, mais attention, c’est quand on a l’impression que tout va bien, que ça pète. Les rencontres du Sne Sup constituent une arène où s’entrechoquent les intérêts et où se trament les alliances et se tissent les méfiances. C’est le paradis des requins et des dinosaures et l’enfer des bleus et des gens comme moi. Nous sommes constamment réduis à une carte, à monnayer ou à remettre en guise de soumission, ou à une voix à assigner en cas de vote. Il arrive des fois que des gens parlent publiquement et affichent fallacieusement des intentions vagues ; on dirait des chasseurs chargés de forlancer et débusquer le gibier. D’autres agissent comme des spéculateurs de la niaiserie ou de l’engagement des syndicalistes.
Tous s’exposent aux épreuves des coulisses occultes, aux tractations miteuses, aux surenchères scandaleuses, aux connivences ignobles, à l’abjection intellectuelle et morale, soumises à la (télé)manipulation virale de commanditaires qui tirent les ficelles du jeu, mais beaucoup développent un apolitisme naïf et une surdité sélective qui leur épargneront – puisqu’ils y croient – des compromissions auxquelles ils seront indéniablement exposés et auxquelles ils ne consentiront pas forcément. Avec le temps, ils verront cela sous un autre angle ; c’est cette singularité qui sépare nos natures, parce que bien que nous appartenions au même corps, nous n’avons pas tous les mêmes valeurs.
Sans trop de surprise, les marionnettistes tueront comme toujours la ligne d’arrivée en adoptant, clandestinement et dans la douleur, des compromis conciliants que les figurants ratifieront publiquement ou sobrement dans une comédie humaine grotesque et burlesque au nom de l’unité syndicale. Ces profs, politicaillons, se font passer pour ce qu’ils ne sont pas ; ils font partie d’un système qui persiste à jouir de la confiance et de l’instinct de survie du corps enseignant. La laideur de leurs agissements n’a d’égal que la laideur de leurs idées mandarinales et politicardes. Bref, nous nous leurrons tous de vaines espérances ; nous – apolitiques désaffectés – sommes aussi fidèles à notre cause qu’ils – politicards – le sont à la leur, mais les intérêts resteront divergents et nous ne pourrons rien y faire. C’est un monde cruel et indigne où rien ne sera jamais résolu.