L’épidémie Covid-19 a tendance à éclipser les principaux événements qui marquent la scène régionale et mondiale. Les médias sont tellement obnubilés par l’évolution du virus et l’interrogation sur l’efficacité ou non du vaccin que des évènements de taille sont à peine effleurés quand ils ne passent pas tout simplement inaperçus. Et pourtant, ils revêtent une importance telle qu’ils seraient de nature à introduire des transformations qualitatives et influencer la vie des gens là où ils se produisent. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, celui de l’entrée en vigueur à partir du premier janvier 2021 de l’accord portant création d’une zone de libre-échange africaine conclu en 2018.
En effet, la création de la ZLECAF (zone du libre-échange du continent africain), désignée par son acronyme anglais AfCFTA (African Continental Free Trade Area) est devenue une réalité concrète à partir du 1er janvier à la suite d’une cérémonie officielle de lancement, après que l’accord eût obtenu le nombre de ratifications requises. Comme son nom l’indique, la ZLECAF vise l’instauration d’un vaste marché au niveau continental. Il faut dire que le chemin pour y parvenir a été long et sinueux. Il a fallu attendre près de 60 ans, depuis la création de l’OUA en 1963 (devenue Union Africaine en 2002), pour voir enfin le vœu qui animait les pères fondateurs se réaliser. On laissera aux historiens l’examen de toutes les péripéties parcourues depuis lors et intéressons-nous plutôt à l’analyse de la portée de cet accord dans l’espoir que tout le monde puisse tirer les leçons du passé et les enseignements pour l’avenir. Cet accord, dans lequel le Maroc a joué un rôle de premier plan, revêt un protée géostratégique considérable. Il s’inscrit dans le sillage de l’agenda 2063 qui prévoit un certain nombre d’actions phares dont notamment la création d’un réseau intégré de trains à grande vitesse, l’instauration d’un passeport africain permettant la libre circulation des personnes, la création d’une université virtuelle africaine, l’instauration de la paix sur le Continent en résolvant tous les conflits…Il s’agit donc d’une vision globale qui veut faire de l’Afrique, à l’avenir, un « acteur dominant sur la scène mondiale».
Pour ce qui est de l’économie de cet accord composé d’une trentaine d’articles et de trois protocoles annexés, il est prévu de supprimer 90% des droits de douane sur une période de 5 à 15 ans, selon leur niveau de développement (pays à revenus faibles et intermédiaires), avec des dispositions différenciées pour sept pays (Djibouti, Ethiopie, Madagascar, Malawi, Soudan, Zambie et Zimbabwe) qui ont un objectif réduit de suppression des droits de douane (85%). Un tel accord, dont l’application sera progressive, présente plusieurs avantages et changera à terme la trajectoire du Continent.
Marché
D’abord, il donnera un réel coup de pouce aux échanges interafricains qui demeurent actuellement à un niveau extrêmement bas en comparaison avec les autres régions : à peine 16% contre 67% pour le commerce intra-européen, 60% pour les pays asiatiques et 50% entre les pays d’Amérique du nord. Ensuite, il est susceptible d’améliorer d’une façon substantielle l’attractivité du continent, et particulièrement pour les pays ayant atteint un niveau de développement intermédiaire. Un marché de plus d’un milliard de consommateurs, qui doublera d’ici 2050, devient par la force des choses, plus attractif pour l’investissement étranger.
Certes, ce sont les pays les plus avancés du continent qui vont profiter plus que les autres du moins au début. Ce qui est tout à fait normal et compréhensif. Mais dans l’ensemble, l’intégration africaine produirait moins d’inégalités au niveau du Continent contrairement à certaines expériences de ZLE ayant regroupé des pays développés et des pays moins développés. En Afrique, il y a moins d’asymétries entre pays. L’analyse théorique enrichie par l’expérience historique montre que les pays qui profitent le mieux d’une ZLE en réalisant une meilleure convergence sont ceux dont les niveaux de développement sont proches et qui peuvent dégager des complémentarités. Qui plus est, plus intégrés, ils seraient mieux préparés à l’ouverture sur le reste du monde. En d’autres termes, la création d’un ensemble régional viable offre plus de chances aux pays membres, de réussir leur intégration dans le marché mondial.
Le regroupement régional se présente comme une sorte d’apprentissage à l’ouverture. C’est l’un des grands enseignements que l’on tire des expériences d’intégration réussies un peu partout à travers le monde et dont l’Union Européenne représente aujourd’hui le cas le plus avancé. Il va sans dire que la mise en œuvre de cette ZLE risquerait de rencontrer quelques problèmes notamment d’ordre technique comme ceux relatifs aux règles d’origine qui sont généralement sources de divergences d’appréciation. Pour y remédier, l’accord prévoit la création d’un organisme de règlement des différends (ORD) dont les règles et les mécanismes sont définis dans le troisième protocole annexé à l’accord. Il faudrait en la matière que toutes les parties s’en tiennent aux principes et aux objectifs généraux de l’accord et fassent preuve de pragmatisme, de réalisme et de souplesse.
Nous sommes, par conséquent, en face d’une grande opportunité qu’il convient de saisir pour que le Continent puisse repartir de l’avant et préparer sérieusement les conditions de son décollage. C’est aussi une opportunité et un challenge pour le Maroc qui a fait, à juste titre, de sa coopération avec les pays d’Afrique, un choix stratégique en l’inscrivant dans le préambule de la constitution 2011. Notre pays est appelé, de par sa position géographique, le niveau de diversification de son tissu industriel et entrepreneurial, la qualité de son infrastructure, à jouer un rôle de premier plan pour la réussite de ce projet dont la portée dépasse le niveau strictement commercial. C’est une dynamique positive et historique qui s’ouvre dans le continent.