Agréments ou égarement ?

La subvention directe accordée aux différents opérateurs du transport de marchandises (et voyageurs) pour atténuer l’impact de la  flambée des prix des carburants sur leur activité a révélé derechef et au grand jour une réalité connue mais superbement ignorée depuis longtemps par les responsables : les fameux agréments, grimates dans notre beau  jargon, qui sont à l’origine de l’essentiel des dysfonctionnements qui minent  ce secteur stratégique et en plombent gravement le développement et  la modernisation. Jugé politiquement délicat, voire casse-cou,  ce dossier n’a jamais bénéficié d’une véritable feuille de route de la part des pouvoirs publics partisans de la politique du laisser-faire qui a provoqué une situation chaotique notamment dans le segment voyageur intervilles et urbain (autocars et taxis) régi par un modèle archaïque qui permet à ses bénéficiaires de s’enrichir par simple autorisation administrative à rebours de la moindre règle de transparence et même de sécurité. Prenez par exemple la filière des taxis où l’grima, qui se loue et se sous-loue à l’envi, en enfantant au passage une caste de rentiers, est en cause dans le sous-développement flagrant, l’injustice et le désordre incroyable qui minent depuis des années cette activité. Où réside l’injustice, me diriez-vous ? Dans le dispositif en lui-même qui fait de celui qui travaille le plus du matin au soir celui qui gagne le moins : le chauffeur. Pendant que les titulaires et les loueurs du permis de s’enrichir qui souvent ne sont pas dans le besoin se la coulent douce, le conducteur de l’engin doit trimer dans des conditions difficiles, contraint de conduire n’importe comment en s’arrêtant n’importe où, ce qui lui fait causer fréquemment des accidents de la route. Dans ce schéma d’un autre âge, le pauvre chauffeur, constamment au pas de course, est en quelque sorte exploité par les heureux prébendiers. L’effort ne paie pas ou très peu. Vive la rente !

Antinomique avec l’initiative privée et l’entreprenariat encouragés par ailleurs par les pouvoirs publics à grand renfort de programmes dont le dernier en date est Forsa, la rente rime par définition avec opacité, privilèges et absence de reddition des comptes.

Or, l’activité des taxis gagnerait à être élevée au rang d’agent touristique au lieu de rester sous la tutelle paralysante du ministère de l’Intérieur. En attendant, Abdelouafi Laftit vient d’ouvrir la route à un début de transformation bienvenue dans cette profession avec sa dernière circulaire adressée aux walis et gouverneurs dans le sillage de la polémique suscitée justement par ces privilégiés détenteurs chacun de plusieurs agréments de taxis. Digne d’être saluée, la circulaire Laftit comporte une batterie de mesures réformatrices, comme la limitation à un seul le nombre d’agréments exploités par personne physique, l’instauration pour les détenteurs de plusieurs agréments d’une période transitoire d’un an pour se constituer en entreprise et continuer à en bénéficier… Certes, ces mesures sont un pas encourageant vers une mise à niveau de l’activité des taxis qui a besoin d’être considéré comme une activité économique à part entière mais dont les agréments faussent les règles du jeu et empêchent les secteurs qu’ils infestent de se développer dans une compétition saine induite par l’égalité des chances. Véritable frein à l’investissement dans la mesure où ils empêchent les autres citoyens d’entreprendre- en l’absence d’un cahier des charges ouvert à tous – dans le secteur concerné, et contribuer à son développement.

Antinomique avec l’initiative privée et l’entreprenariat encouragés par ailleurs par les pouvoirs publics à grand renfort de programmes dont le dernier en date est Forsa, la rente rime par définition avec opacité, privilèges et absence de reddition des comptes. Pour tout dire, les agréments sont un égarement. Espérer faire émerger sous le fardeau des agréments un secteur économique en bonne et due forme, compétitif, créateur d’emplois et de richesse pour tous est une pure illusion. Alors, ayons le courage de déclarer la fin de la rente et de la remplacer par l’ouverture à la concurrence !  Le même schéma tricoté à l’archaïsme et aux prébendes sévit dans le transport routier de voyageurs qui carbure toujours à l’opacité dans un informel ravageur.  Et pourtant, dans ce domaine, le Maroc a produit très tôt un modèle de transport aux normes. Il s’agit de la Compagnie des Transports au Maroc (CTM) fondée en 1949 et qui dessert plus de 200 lignes à travers le territoire. Voilà une compagnie moderne et ponctuelle, possédant un parc d’autocars, confortables et de qualité avec des chauffeurs motivés et expérimentés.

Le transport de voyageurs aurait pu prendre la trajectoire de la CTM pour tirer vers le haut ce secteur économique essentiel. Tel n’a pas été le cas. Les pouvoirs publics ont cédé à la facilité en continuant à encourager un anti-modèle économique via une caste de rentiers sans aucun cahier des charges et à rebours des normes de transparence, de professionnalisme et de bonne gouvernance. Une bonne partie des accidents de la route qui fauchent régulièrement des vies humaines sont en grande partie le fait de ce système archaïque adossé à une flotte de véhicules dont l’état à la fois mécanique et humain laisse beaucoup à désirer. Finalement c’est l’insécurité rentière qui tue… Démanteler le système de la rente que ce soit dans les secteurs du transport, de la pêche ou des carrières de sable c’est mettre fin à l’ère de l’enrichissement facile et sans cause qui se fait au détriment de la collectivité, de l’équité sociale et de l’égalité des chances…

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