De mémoire de Marocain, on n’a jamais vu une telle mobilisation sécuritaire. Un convoi interminable de véhicules des forces de l’ordre ( police, gendarmerie, armée ) s’est déployé dimanche 15 septembre autour de Sebta et Fnideq. Objectif : déjouer une tentative d’immigration collective sans précédent par son ampleur vers le préside occupé. Une expédition migratoire qui aurait été déclenchée par de mystérieux appels diffusés avec insistance sur les réseaux sociaux. Selon des rumeurs officieuses, il s’agirait d’une entreprise malveillante orchestrée par les services algériens qui auraient utilisé le phénomène migratoire comme une arme pour déstabiliser le Maroc et le mettre en difficulté vis-à-vis de son ami espagnol. Mais la vigilance et le professionnalisme des forces de l’ordre ont fait avorter cette action dont les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Mission accomplie côté sécuritaire à coups d’arrestations dans les rangs de milliers de candidats au départ parmi lesquels figurent de nombreux mineurs marocains mêlés à des subsahariens et des Algériens. Mais sur le plan politique, le problème, manipulation malintentionnée ou pas, reste entier, renvoyant aux décideurs l’extrême détresse matinée de révolte d’une bonne partie de la population marocaine. Des jeunes et moins jeunes désœuvrés et paumés , sans perspectives d’avenir, rongés par un désespoir social si fort qu’ils voient dans l’immigration, qu’ils sont prêts à tenter au péril de leur vie, la dernière chance pour s’en sortir et aider leurs familles. Sans raisons d’espérer, ils sont nombreux à s’accrocher à ce fil ténu qu’est la migration comme à une bouée de sauvetage dans une mer très agitée.
C’est un désarroi profond que raconte, au-delà des instigateurs de cet épisode fâcheux, le projet avorté de cette chevauchée migratoire irrégulière vers l’enclave de Sebta occupée. Cette séquence tendue, à contre-courant de la dynamique générale d’un Maroc qui se développe et se modernise et qui n’a jamais été aussi bien apprécié à l’international, interroge en premier lieu les responsables et leurs politiques génératrices d’autant de laissés-pour-compte, qui ne partagent qu’une seule envie : quitter leur terre natale vers un Eldorado fantasmé. Proie facile de la délinquance sous toutes ses formes, ces bataillons d’exclus de la croissance, qui peuplent toutes les villes marocaines, sont le produit de plusieurs décennies de déficit de gouvernance, viennent de se rappeler au bon souvenir du gouvernement. Parmi ces cohortes de marginalisés figurent en grand nombre les fameux Neet ( Not in Education, Employment or Training- Ni éducation, ni emploi ni formation). Ils sont autour de 1,5 millions, soit environ 15% de la jeunesse marocaine, âgés entre 16 et 25 ans que plusieurs enquêtes réalisées par des organismes nationaux et étrangers ont présenté comme une bombe sociale qu’il faut désamorcer d’urgence.
Comment voulez-vous que cette armada de marginalisés, qui passent sous les radars officiels, ne cèdent pas aux sirènes de l’immigration alors que leur propre pays ne les fait pas rêver ? Mais où est le rêve dans un verbiage gouvernemental qui n’arrive pas à aller au-delà du cadre de l’autosatisfaction béate, qui fait constamment l’éloge de la généralisation de la couverture sociale et du soutien direct accordé à la veuve et à l’orphelin ? Force est de constater que l’État social dont se réclame le chef du gouvernement est toujours mis à rude épreuve, nonobstant l’importance des efforts publics consentis, par une réalité sociale où l’immense majorité de la population n’a pas accès à un enseignement de qualité ni à des soins de dignes de ce nom dans les hôpitaux. Un contexte marqué par la montée du chômage, l’exacerbation des inégalités sociales et territoriales , paupérisant davantage les petites gens aux prises avec une vie chère sans précédent d’autant plus inquiétante qu’elle touche leur pitance quotidienne. Mais l’exécutif ne donne pas l’impression de prendre à bras-le-corps la question de la détérioration du pouvoir d’achat ni de mesurer l’étendue de sa gravité qui fait peser une lourde hypothèque sur la cohésion sociale.
Résultat: Toujours ce Maroc à plusieurs vitesses qui caracole en tête, dopé par une kyrielle de fléaux comme le décrochage scolaire, terreau privilégié des fameux Neet, une corruption endémique qui nuit principalement aux pauvres et à l’investissement et cette économie rentière qui inhibe les énergies créatrices… Comment faire rêver d’une réussite locale la jeunesse de ce pays avec des élus prévaricateurs dont l’actualité relève de plus en plus du fait divers ? Est-il possible de construire un Maroc réellement prospère sur des bases saines et solides alors que son vrai capital, sa jeunesse, caresse le rêve de s’expatrier ? Comment redonner espoir aux exclus du système et restaurer la confiance dans un contexte où l’opinion publique, du fait de la démonétisation de la parole politique, est encadrée et dirigée principalement par les réseaux sociaux devenus un outil d’influence à double tranchant, qui ont montré au début de la décennie leur capacité d’agir comme un catalyseur de révoltes populaires et de protestations de masse dans un certain nombre de pays. Ces soulèvements sont provoqués à partir d’un déclencheur précis comme une hausse de prix, une nouvelle taxe ou tout autre mesure impopulaire. Sur ce front socialement et politiquement inflammable, la tentative de fuite collective de Sebta comme une alerte pour le gouvernement Akhannouch qui doit sortir de son mutisme et adopter d’urgence des mesures fortes afin de protéger le pouvoir d’achat, gravement fragilisé ces dernières années par les coups de boutoir de la vie chère. La mission première d’un gouvernement pour ne pas dire sa raison d’être est d’agir sur le réel pour le changer dans le sens des grands desseins nourris par le Roi Mohammed VI pour son peuple. Or, malgré des politiques sociales financièrement coûteuses mais sans réelle prise sur le quotidien des gens, le Maroc est constamment rattrapé par sa réalité sociale et ses facettes peu radieuses qui lui jouent des tours…Un paradoxe qui présente en même temps une moralité: Ce n’est pas en distribuant de l’argent aux nécessiteux que le pays arrivera à assécher les bassins de la pauvreté et du mal-être de sa jeunesse. Il faut actionner les bons leviers…