Un total de 250.075 candidats scolarisés dans les établissements d’enseignement public et privé ont réussi les épreuves du bac 2025 (session de juin), soit un taux de réussite de 66,8%, selon les résultats rendus publics par le ministère de tutelle. Une infime partie des admis dont les parents sont financièrement lotis poursuivront leurs études supérieures à l’étranger dans différentes filières. Mais combien reviendront-ils au pays une fois leur diplôme en poche? Très peu. Le grand nombre préfèrera prolonger son statut d’expatrié en profitant des opportunités d’embauche offertes par le pays de sa formation post bac ou en tentant sa chance sous d’autres cieux dans le cadre de la mobilité facilitée par la mondialisation des compétences. Libre circulation des capitaux qu’ils soient financiers ou humains. Comme l’argent, le talent s’installe là où il se sent à l’aise, a des chances de croître, de prospérer et de s’épanouir. Ce que l’on considère communément comme la fuite des cerveaux n’est au fond qu’une bataille d’attractivité, une compétition féroce mondiale pour attirer les meilleurs. Impitoyable et sans frontières. Une question complexe que Abdellatif Jouahri, qui s’exprimait récemment lors d’une conférence de presse consacrée au bilan des 30 ans de l’université Al Akhawayn a abordée selon une vision primaire et manichéenne. Les bons d’un côté et les méchants de l’autre.
«Il faut faire face à ce pillage des cadres et des cerveaux, et nous devons, en tant qu’État, plaider avec force dans les forums et institutions internationales en faveur de notre capital national de compétences», a déclaré wali Bank-Al -Maghrib. Et d’ajouter : «À chaque fois que j’en ai la possibilité, je proteste contre la manière dont les pays développés nous considèrent comme des pays sous-développés, tout en attirant et en séduisant nos compétences, ce qui reflète une double pensée. Ils nous voient comme des pays en retard, mais n’hésitent pas à nous exploiter comme des mines et des réservoirs de cerveaux». Il est étonnant d’entendre ce discours de victimisation aux termes simplistes d’un haut responsable réputé chevronné et avisé sur une question complexe qui appelle une approche différente. On dirait que M. Jouahri, déconnecté des nouvelles réalités mondiales dans toute leur complexité, vit dans un monde de Bisounours.
Ce ne sont pas les analyses savantes et les diagnostics mille fois établis qui changeront la donne et empêcheront les compétences nationales d’être attirées comme un aimant par les nations développées.
La vérité crue c’est que le Maroc, à l’instar de nombre de pays en voie de développement, n’est pas très outillé quand il s’agit de garder sa matière grise. Y compris celle qui a émergé de ses propres centres de formation et universités, notamment les médecins, informaticiens et les ingénieurs dans des secteurs pointus que le Royaume laisse filer alors qu’il en a grandement besoin pour réussir son décollage économique. Une véritable hémorragie continue à le vider de ses talents que les nations occidentales, en mal de main-d’œuvre hautement qualifiée pour faire tourner leur économie et rester dans la course à l’innovation et à la compétitivité, s’arrachent comme des perles rares en rivalisant d’avantages, voire de privilèges. Devant cet exode continu des cerveaux du cru, les pouvoirs publics semblent démunis, résignés, incapables d’agir pour les garder sur place. Quel gâchis ! Y a-t-il pire échec que de ne pas savoir retenir la crème de son inestimable capital humain ? Jusqu’à quand le Maroc qui a pourtant grandement besoin de ses compétences continuera à jouer gratuitement les formateurs pour le compte du monde occidental dont il renforce ainsi le développement au lieu de construire le sien? Une étude réalisée il y a quelques années auprès d’un échantillon de 1882 diplômés marocains (BAC+3) dont la moyenne d’âge est de 35 ans a révélé que 91% d’entre eux souhaitent faire carrière à l’étranger.
Un résultat significatif de l’environnement du travail au Maroc qui, aux yeux des sondés, est très peu motivant. Convaincre les cadres marocains brillants établis à l’étranger de revenir au bercail s’avère tout aussi complexe. Vaste programme qui nécessite un changement en profondeur de paradigme en termes de méritocratie, de perspectives de carrière, de reconnaissance, d’encadrement et de motivation financière. L’environnement professionnel au Maroc, à quelques rares exceptions près, est aux antipodes de ces valeurs.
Et puis, tant que l’éducation dans son acception la plus large au cœur de la politique de l’État n’est pas hissée véritablement au sommet des priorités, il est difficile de construire une vision d’avenir prometteuse pour les enfants d’un pays qui attendent la première occasion pour plier bagages… Ce n’est qu’une fois que cette volonté politique réellement acquise et mise en musique qu’il est loisible d’actionner les leviers nécessaires et entreprendre les réformes décisives pour faire du pays ce pôle d’attraction où il fait bon étudier, s’instruire, inventer, produire et innover. Au service de tous. Ces choses-là ne se décrètent pas. Elles se construisent. Par l’action et non les professions de foi. Ou les thèses dépassées à la Jouahri
Tant que le pays n’aura pas pris résolument le chemin de l’attractivité, les responsables en seront réduits à tenir la comptabilité des cerveaux qui s’envolent en se désolant et à nous émerveiller devant les progrès technologiques prodigieux réalisés par les autres. Ce ne sont pas les analyses savantes et les diagnostics mille fois établis qui changeront la donne et empêcheront les compétences nationales d’être attirées comme un aimant par les nations développées. Un proverbe bien de chez nous résume parfaitement cette réalité: «Aucun chat ne fuit la maison où se célèbre un mariage».
Par Abdellah Chankou