Suite à la scandaleuse hausse des frais scolarité oscillant entre 200 et 300 DH par mois, annoncée récemment par des établissements d’enseignement privé, qui a fait l’objet d’une question au Parlement, Chakib Benmoussa s’en est sorti en bottant en touche. Argument dégainé par le ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports ? la liberté des prix qu’il considère comme la garantie des prestations offertes et de leur qualité! C’est le même propos que le ministre avait tenu en mai 2022 devant les députés au sujet des tarifs astronomiques et souvent injustifiés pratiqués par de nombreuses écoles payantes. Dans sa réponse, lBenmoussa avait excipé de la Loi 06.00 formant statut de l’enseignement privé qui ne permet pas à son département d’intervenir pour fixer le montant des frais de scolarité qui obéissent, selon lui, à la loi de la concurrence. La concurrence ! Le mot est lâché. Autrement dit, il en va de l’éducation qui représente le pilier essentiel d’une nation et son véritable capital comme du commerce des cacahuètes ou du souk à moutons !
Pour un ministre crédité d’un certain nombre de qualités et qui a piloté le chantier du nouveau modèle de développement, son explication est pour le moins troublante car non assortie d’une résolution de bon sens qu’il aurait dû annoncer dans la foulée : la révision de la loi qui empêche son ministère de réguler le « marché « de l’éducation. Sachant que cette loi sur mesure n’est pas sacrée, inspirée certainement, telle qu’elle a été adoptée, par le lobby des écoles privées qui tenait à vendre son produit au prix qu’il veut loin de tout interventionnisme de l’État. Circulez, il n’y a rien à voir ou plutôt à revoir, semble rétorquer M. Benmoussa alors qu’il est censé plaider devant les députés, dont certains ont au demeurant des intérêts dans le secteur, la cause des parents tout en défendant un droit de regard public sur le montant des frais de scolarité, histoire de corriger les aberrations de ses prédécesseurs.
En se cachant derrière une loi scandaleuse pour justifier l’inertie de son département, M. Benmoussa cautionne non seulement la politique de l’ « ensaigement » des Marocains mais encourage les commerçants des cours de récré à tondre les familles comme bon leur semble.
Ces dernières ont beau protester en criant à la cherté excessive des frais de scolarité qui augmentent d’année en année en grevant dans des proportions anormales leur pouvoir d’achat, personne n’entend leur revendication juste de revenir à des prix raisonnables. Abandonnées par les pouvoirs publics, elles se sentent seules, désemparées et leur colère légitime finit par se muer en résignation.
Profitant de la crise chronique qui frappe le système éducatif public et de la paresse chronique du département de l’Éducation nationale, bien des écoles privées ne vendent au prix fort que l’illusion de la performance.
Aux frais de scolarité abusifs s’ajoutent les prix élevés des manuels et fournitures scolaires ainsi que d’autres charges annexes en relation avec le transport scolaire, la cantine et les activités extrascolaires. Cette très chère éducation des enfants grève surtout au-delà du raisonnable les budgets des familles dont les revenus sont limités. Livrer ces dernières, qui ont le sentiment d’être tondues comme des moutons, à la rapacité des patrons des enseignes privées sous couvert de la liberté des prix est un argument difficilement défendable compte tenu du rôle social de l’activité éducative. La logique même de la marchandisation de celle-ci, qui s’est imposée comme allant de soi, commande de la part des responsables un minimum de régulation du système pour en garantir un fonctionnement correct et éviter qu’il ne déraille. Au vu du niveau des tarifs pratiqués notamment par des missions étrangères comme la française et la belge mais aussi par des enseignes locales, il est clair que la machine a bel et bien déraillé faute justement de cette nécessaire régulation. Non, M. Benmoussa, il est du devoir du gouvernement d’amender la loi 06.00 pour instaurer une nomenclature des services éducatifs par catégories d’établissements avec des prix en fonction d’un certain nombre de critères : la qualité de la formation, le niveau de compétence et d’intéressement du personnel enseignant et son statut (avec contrat ou vacataire). L’existence d’un matériel didactique performant et la qualité des infrastructures pédagogiques et autres aires sportives sont aussi des facteurs discriminants dans la détermination des frais de scolarité. Le coût du produit éducatif pour les parents doit découler de cette catégorisation préalable, porteuse d’une certaine exigence, surtout que le caractère payant des études n’est pas toujours synonyme de qualité. Et c’est au gouvernement, à travers le ministère de tutelle, de veiller au respect de ces normes par un travail de contrôle rigoureux.
Profitant de la crise chronique qui frappe le système éducatif public et de la paresse chronique du département de l’Éducation nationale, bien des écoles privées ne vendent au prix fort que l’illusion de la performance.
Ce n’est pas normal en effet que des écoles libérées de tout (hors contrats enseignants et sans cour de récréation ni le moindre espace de sport) y compris de cours dignes de ce nom pratiquent des prix anormalement élevés sans que l’autorité de tutelle n’intervienne pour jouer son rôle de régulateur et de protecteur des familles contre la voracité des promoteurs de l’enseignement privé. Il s’agit à cet effet moins de plafonner les frais de scolarité que de mettre en place des standards éducatifs clairs dans un esprit d’harmonisation. En l’absence de ces normes, les parents choisissent les établissements en fonction de leur notoriété ou de la réclame dont ils font l’objet, ce qui ne renseigne en rien sur la réalité de leur qualité pédagogique.
Entre une école publique en crise et un enseignement privé onéreux, les Marocains sont livrés à eux-mêmes. Désorientés. Mal informés. L’enseignement privé, qui prospère au-delà du raisonnable sur la destruction de l’école publique, restera ce filon juteux tant que les pouvoirs publics n’auront pas abandonné leur passivité. Un exercice plus que malsain. Un acte de démission qui aggrave les dysfonctionnements du secteur et les inégalités devant l’école tout en continuant à favoriser la tonte des parents d’élèves. Vous avez dit l’Etat social ?