Économie du siphonage

Premier pourvoyeur d’emplois du Maroc (plus de 40 % de la population vivant du travail de la terre), l’agriculture nationale génère 14 % du PIB. Avec cette particularité contraignante que  le taux de croissance du pays est fortement corrélé à celui de la production agricole. Mais dans un contexte de stress hydrique et de raréfaction des précipitations dont nous vivons avec inquiétude les contrecoups à tous les niveaux, ces indicateurs deviennent  trop problématiques pour ne pas pousser les décideurs à mettre en œuvre une politique d’adaptation au changement climatique. Surtout que l’agriculture marocaine a ceci de contraignant qu’elle est tributaire du ciel et de ses caprices. C’est-à-dire de l’aléatoire, de la notion de hasard et de probabilité! Or, quand les ondées qui font germer le blé font défaut, c’est toute la machine économique qui se grippe, impactant fortement le taux de croissance et même l’emploi rural  affecté dans des proportions non négligeables comme cela a été révélé récemment par les derniers chiffres du HCP.
Ce modèle agricole, disons le tout de go, est devenu aujourd’hui obsolète, voire contreproductif car basé essentiellement sur un export trop gourmand en eau ( tomates, avocats et fruits rouges) jusqu’à la déraison. Et puis, le Maroc, fait encore plus paradoxal, continue à importer du blé et une variété de denrées  agro-alimentaires dont la facture excède les recettes des exportations agricoles. Côté autosuffisance et indépendance alimentaire, on est encore loin du compte.  
Force est de constater que les subventions publiques accordées dans le cadre de la conversion des systèmes d’irrigation gravitaire vers le goutte-à-goutte n’ont pas permis, comme espéré,  une rationalisation de l’utilisation de l’eau. Bien au contraire. Cette politique de soutien généreuse, installée par le Plan Maroc Vert, a eu comme effet de favoriser une extension des périmètres irrigués pour des cultures trop consommatrices d’eau. Aussi bien de surface que des nappes phréatiques. C’est ainsi que le pays a réussi à assécher ses stocks d’eau en contrepartie en 2020 de quelque 17,5 milliards de DH (soit un peu moins de 2 milliards de dollars) de recettes à l’export. (A titre de comparaison, le groupe américain Chiquita Brands International et son concurrent irlandais Fyffes, qui sont les rois de la banane, pèsent après leur fusion en 2014 un chiffre d’affaires de 4,6 milliards de dollars). Ya pas photo !

Vivement une gouvernance des ressources naturelles et une véritable politique de planification basée sur l’industrialisation et pourquoi sur l’économie du savoir !


Le siphonage à tous les étages ! Cette pression continue et irraisonnée  sur les ressources hydriques ne peut conduire  autrement qu’à ce scénario-catastrophe.
Cette économie du siphonage des ressources naturelles (potentiel hydrique, fonds marins, minerais) à la limite de la prédation  et leur export sous une forme brute, non transformée, est pénalisante à plus d’un titre. Antinomique avec les impératifs du développement durable, célébré pourtant dans les discours officiels,  elle empêche de surcroît le pays de créer de la valeur, de l’emploi,  de diversifier et de transformer son économie tout en compromettant la capacité des générations futures à satisfaire leurs besoins. Vivement une gouvernance des ressources naturelles et une véritable politique de planification basée sur l’industrialisation et pourquoi sur l’économie du savoir, clé de voûte de tout décollage d’une nation et levier de sa transformation vertueuse. Celle-ci, qui passe évidemment par l’innovation, suppose une rupture nette avec la culture de la rente qui se nourrit de la surexploitation des matières premières et autres permis de s’enrichir dans la facilité.
Il est tout de même paradoxal que le Maroc, fort de son influence africaine grâce au leadership dont jouit le Roi Mohammed VI ne propose aux Africains que ses produits agricoles ! Dans le sillage des multiples tournées royales dans le continent (au nombre de 7 depuis 2004), un circuit diplomatique exceptionnel et de longue haleine,  il aurait fallu, côté marocain, être plus entreprenant pour mettre plus que des produits alimentaires de base dans la coopération sud-sud.    
Tout le monde étant d’accord que l’avenir du Maroc se situe dans sa profondeur africaine, le Royaume doit, compte tenu de sa position privilégiée et de son statut enviable, œuvrer pour diversifier son offre exportable qui pourrait compter dans un premier temps  une industrie légère. Voilà un objectif sur lequel tout gouvernement ambitieux qui ne  se contente pas de reconduire les politiques de facilité antérieures est censé travailler de manière sérieuse et rigoureuse. C’est en tout cas beaucoup plus excitant et autrement plus porteur que le convoyage de la tomate et des patates au point de passage à El Guergarate.

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