En décidant d’étendre conformément à la volonté de leurs directoires respectifs leur alliance gouvernementale aux conseils communaux et régionaux où ils sont arrivés en tête, le RNI, le PAM et l’Istiqlal, grands vainqueurs du triple scrutin du 8 septembre, ont cherché certainement à blinder leur association politique en l’immunisant contre les désaccords susceptibles de la briser… Mais à quoi rime, au vu des dynamiques locales qui sont souvent à l’opposé des intérêts des administrés, la proclamation solennelle, via communiqué, cette volonté commune d’agir de concert au-delà du périmètre de l’exécutif ? Plus ou moins respectés par les élus souvent tentés à s’autonomiser par rapport à leurs dirigeants en raison des enjeux locaux qui se limitent très souvent à des intérêts personnels, de telles consignes de vote ont pour objectif de barrer la route aux aventures individuelles de certains candidats qui ont pris l’habitude de nouer des pactes très peu orthodoxes, aux antipodes d’une action locale saine sur fond de méthodes que la morale réprouve: marchandages douteux, achat de voix de conseillers, monnayage des présidences de commissions et des délégations de signatures, alliances avec des lobbys puissants…
Or, les partis politiques sont les principaux responsables de ces dérives qui se sont imposées au fil du temps comme allant de soi. En cause, leur désintérêt, pour le moins incompréhensible, de la chose locale, ses innombrables problèmes et ses multiples défis. Ce désintérêt a encouragé les élus, du fait qu’ils ne sont ni encadrés ni bordés par leurs appareils politiques, à n’agir qu’à leur guise en se comportant comme si la commune était leur propre affaire. C’est ce qui a engendré sans doute le sentiment chez bien des personnes que les collectivités locales sont moins une charge au service de la communauté qu’un moyen efficace pour s’enrichir rapidement de manière indue… D’où les moyens financiers exorbitants engagés par de nombreux candidats (achat des voix, banquets…) pour se faire élire. Du coup, on n’est plus dans l’action communale, telle qu’elle doit s’exercer. Bonjour le business avec retour sur investissement ! Le gangstérisme communal est né. Davantage que la faiblesse de son action gouvernementale, ce dernier a nourri la perte de crédibilité de la classe politique et son rejet par la population… L’expérience de plus de 40 ans de gestion locale avec ses remontées de terrain et ses scandales retentissants est accablante pour la classe politique à tous les niveaux. A commencer par celui du choix du profil des candidats qui, force est de constater, n’a jamais, à quelques rares exceptions près, volé très haut.
L’expérience de plus de 40 ans de gestion locale avec ses remontées de terrain et ses scandales retentissants est accablante pour la classe politique à tous les niveaux. A commencer par celui du choix du profil des candidats qui, force est de constater, n’a jamais, à quelques rares exceptions près, volé très haut.
Aussitôt leurs chefs de file et les conseils communaux formés, les partis tournent généralement le dos aux collectivités locales, comme si seuls comptaient à leurs yeux le nombre de sièges obtenus et des conseils dirigés. Ce désintérêt n’a d’égal que l’énergie colossale qu’ils déploient dans les tractations gouvernementales, la course vers les portefeuilles ministériels et autres postes administratifs. Voilà qui les fait saliver le plus et pousse leurs dirigeants à tenir des réunions sur conciliabules. Tout se passe comme si les partis en tant que structures partisanes, dont est pourtant issu le personnel communal, n’étaient pas concernés par les problèmes et les attentes des citoyens qu’ils se contentent juste de livrer à la voracité de leurs représentants locaux. Au diable, les attentes des populations, les programmes d’aménagement urbain, les actions du marketing territorial, la protection du patrimoine, le développement du tourisme, les loisirs pour les jeunes, le transport urbain… et toutes les initiatives qui concourent à l’émergence dans la cohérence et l’harmonie de véritables espaces de vie dotés des toutes les commodités nécessaires ! Sut tous ces sujets de haute importance, la classe politique est absente et ne s’exprime que rarement.
L’on a du mal à saisir au nom de quelle idéologie, cette dernière s’est mise en dehors du processus de décision pourtant fondamental qui touche le développement local et régional et impacte directement la vie des gens et la vie de la nation. La question est vraiment déroutante étant donné que les collectivités territoriales représentent l’assise de la décentralisation qui s’est matérialisée par la charte communale de 1976. Par cette loi révolutionnaire à l’époque, l’État n’a fait que transférer une partie de ses prérogatives aux partis, ce qui a permis d’élargir les compétences de la commune, qui sont complémentaires de celles des pouvoirs publics, en renforçant son rôle économique, social et culturel. Mais force est de constater que le bilan de la démocratie locale, pourtant élément essentiel de la démocratie nationale, est désastreux au vu de l’état du Maroc des villes et des campagnes dont les populations ont été prises en otage par les pratiques d’une camarilla d’élus mus par la concussion, le clientélisme et l’enrichissement sur le dos de la collectivité.
Les sanctions de présidents de commune et vice-présidents dont certains ont été traduits devant la justice, suite à des rapports d’enquête accablants du ministère de l’Intérieur sur la gestion de bien des municipalités, n’ont jamais fait réagir les directoires des partis concernés. Ce qui est encore plus significatif de leur état d’esprit à l’égard de la gestion locale. Avez-vous jamais entendu un dirigeant de parti monter au créneau ne serait-ce que pour s’exprimer sur les scandales qui secouent régulièrement les communes a fortiori sanctionner leurs conseillers indélicats ? Citez-moi un seul parti qui a réuni jusqu’ici ses élus communaux dans le cadre de congrès annuels pour évaluer leur bilan communal et débattre éventuellement de leurs problèmes? Les maires du Maroc sont certes rassemblées au sein d’une association créée en 2013 juste pour la forme. Inopérante, elle est venue enrichir l’arsenal des coquilles vides associatives.
L’initiative des dirigeants du trio vainqueur du scrutin du 8 septembre ne produira du sens que si elle s’accompagne d’une implication du RNI, Istiqlal et PAM dans les affaires de la cité à travers un suivi rigoureux de l’action de leurs élus… La démarche de M.M Akhannouch, Baraka et Ouahbi ne serait porteuse d’une rupture avec les pratiques communales du passé que si elle introduit ce qui a fait jusqu’ici défaut à la démocratie locale, à savoir la notion de service public et du respect du citoyen, piétinées dans des proportions scandaleuses par une mafia communale rapace dont les acteurs n’utilisent les élections que comme marche-pied pour s’enrichir, à coups de micmacs fonciers et de marchés publics frauduleux, sur le dos de la collectivité. En somme, il faut beaucoup plus que des consignes de vote ou des professions de foi pour changer en mieux le réel peu reluisant de nos villes et de nos campagnes et redonner au passage à la démocratie locale ses titres de noblesse.