Gouvernance malade

Abdellah Chankou, directeur de la publication.

Les décès suspects en série du centre hospitalier régional d’Agadir, qui a fait sortir les Gadiris dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol, représente le symbole de la faillite de l’hôpital public au Maroc. Ces drames mettent parfaitement en lumière le mal profond qui ronge jusqu’à la moelle le système de santé national. En cause, ce n’est ni un manque de moyens, ni une carence d’équipements mais bel et bien un problème de gouvernance qui empêche l’accès à des soins dignes de ce nom dans toutes les villes du pays avec une exacerbation de la situation dans le Maroc profond et ses déserts médicaux de premier choix ! L’expatriation massive du personnel soignant, qui aggrave la crise en mettant un système défaillant sous tension, est la résultante de cette absence d’attractivité. Un médecin qui fuit son pays pour aller soigner les malades des autres n’est que le symptôme du malaise…

Cela dit, la guérison ne viendra nullement de l’empilement des instances de santé qui tournent aux usines à gaz et à la gabegie financière faute de politiques efficientes impliquant l’ensemble des acteurs et intégrant la définition des responsabilités, les objectifs à atteindre et la reddition des comptes. Au Maroc, on est loin, très loin de ce schéma qui reste un vœu pieux qui meuble les discours politiques depuis des décennies. Résultat: les ministres de tutelle se succèdent sans laisser d’empreinte dans le secteur. Dans ce contexte marqué par les urgences à la pelle, la généralisation de l’assurance maladie tourne fatalement au cautère sur une jambe de bois. A quoi bon posséder l’AMO si le patient n’est pas assuré de bénéficier d’une prise en charge adéquate dans les structures de santé publics en termes de qualité et de sécurité de soins ? Côté expérience patient, le diagnostic est vite établi ! C’est le plus grand paradoxe de la couverture sanitaire. Elle était supposée améliorer l’accessibilité de la population aux services du public mais c’est l’effet inverse qui s’est produit.

Est-il normal de se retrouver avec un état des lieux aussi désastreux alors que les dépenses allouées au chantier de la protection sociale se sont élevées à 39 milliards de DH en 2025 et devront dépasser les 41 Mds de DH en 2026 ?

Est-il normal de se retrouver avec un état des lieux aussi désastreux alors que les dépenses allouées au chantier de la protection sociale se sont élevées à 39 milliards de DH en 2025 et devront dépasser les 41 Mds de DH en 2026? Le grand gâchis est là. Une situation dont bénéficie le secteur privé qui prospère et se développe sur la démission de l’hôpital. Preuve, la dépense globale de santé au Maroc, estimée à environ 60 milliards de DH, tombe à 80 % dans l’escarcelle des prestataires du privé qui doivent normalement opérer en service complémentaire et partenaire. Ce déséquilibre a pour conséquence de creuser l’inégalité des citoyens devant la santé, soit le même schéma à deux vitesses déjà appliqué à l’école avec les dégâts que l’on sait.

La privatisation de la santé est symptomatique de l’incapacité des pouvoirs publics à réformer le secteur public. Ces derniers doivent le reconnaitre et s’employer à stopper l’hémorragie et la gabegie en impliquant le secteur privé, connu pour son savoir-faire, dans la gestion des hôpitaux à travers un partenariat public-privé visant à améliorer le fonctionnement des infrastructures de soins publics. C’est la moindre des choses à faire pour rompre avec cette déficience de gouvernance chronique et garantir aux patients une offre de soins correcte. 

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Au Maroc, on connaît les numéros à composer en cas d’urgence sécuritaire, accident de la route, vol, agression ou cambriolage. La police (112), la gendarmerie ( 177) et les pompiers (150). Mais pas celui de service public hospitalier, à l’image en France du SAMU ( Service d’aide médicale urgente) ou le SMUR (Service mobile d’urgence et de réanimation) car ils n’existent tout simplement pas. En lieu et place, le pays offre juste un transport en ambulance rudimentaire dont le rôle se limite à transporter le malade vers les urgences où les carences en termes de prise en charge rapide sont connues de tous. En d’autres termes, le patient en situation critique ( malaise cardiaque ou en détresse respiratoire) a toutes les chances de passer de vie à trépas sur le lieu de l’accident même ou en cours de route faute de soins nécessaires qui sont généralement décisifs pour sauver une vie humaine en danger de mort. L’absence de couloirs dédiés ou de secours que peuvent emprunter les véhicules prioritaires ( ambulance, pompiers, police, etc.) qui font gagner du temps et augmentent par conséquent les chances de survie d’une personne en danger de mort ajoute aux dramex de la santé au Maroc.

La médecine d’urgence, dans ses versants hospitalier et pré-hospitalier, est le grand parent pauvre de soins de santé au Maroc. Ce qui fait qu’on peut guérir d’une maladie longue durée comme le cancer et mourir sur la voie publique d’une anaphylaxie en l’absence d’une intervention médicale efficace et rapide.

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