La guerre du bac

Celui qui a écouté lundi 5 juin l’intervention sur un ton grave d’une responsable de l’académie régionale de l’enseignement  de Rabat sur  les ondes d’une radio nationale au sujet des préparatifs du bac 2023 a dû être envahi  par une  étrange impression. Que le bac est devenu une guerre livrée  sans merci sur plusieurs fronts. La guerre contre les fuites, devenues un jeu d’enfant, des différentes épreuves à la veille des examens. La guerre contre le matériel de la fraude de plus en plus perfectionné et sophistiqué. Ainsi va l’actu du bac depuis des années, reflet d’un système éducatif profondément déréglé. La terminale n’est plus traitée que par le fait divers.  Les psychodrames à répétition. Triste constat qui n’émeut pratiquement plus personne. On s’habitue à tout. Y compris au pire. A l’inimaginable. En faisant  semblant que tout n’est pas perdu. Que l’école marocaine qui continue à engloutir sans obligation de résultats le tiers du budget de l’État est réformable.

Tout va bien donc. Dans le meilleur des mondes éducatifs. La preuve ? A quelques semaines du bac, la PJ de Salé a arrêté trois individus impliqués  dans un trafic d’appareils utilisés dans la triche scolaire ! L’attirail saisi est impressionnant : 220 cartes électroniques de type «VIP», 393 écouteurs de haute définition, 180 téléphones portables, 208 écouteurs sans fil, 180 câbles de recharge et d’autres consommables. A Tétouan, la police a réalisé une opération similaire après avoir identifié sur Facebook des pages faisant la publicité des outils de la fraude devenus un produit de consommation comme un autre. Les vendeurs de l’outillage de la triche préparent activement la saison comme d’autres travaillent pour mettre sur le marché les outils de la fête du sacrifice. L’essentiel c’est que tout le monde se sacrifie. Les uns pour que les Marocains passent un excellent aïd saturé du fumet boulfafien et les autres pour permettre aux candidats de décrocher leur bac avec mention triche bien. Mais devinez qui a refilé le tuyau qui a permis aux éléments de la PJ de Tétouan et Salé de démanteler ces réseaux ? Leurs collègues de la DST ! A ce rythme, on va devoir bientôt  mobiliser l’armée et ses services de renseignement contre ces bataillons de fraudeurs opportunistes dont le business, il faut le reconnaître, répond à une demande de plus en plus croissante dans le secteur de la fraude high-tech.

Le recours massif à l’artillerie anti-probité au bac appelle une série de questions que Chakib Benmoussa et ses services ainsi que les membres du Conseil endormi de Habib El Malki devraient normalement se poser de vive voix.

Celle-ci n’est plus, parait-il, l’apanage des examens du bac puisqu’elle a fait son entrée dans tous les examens de fin d’année du secondaire et peut-être même du primaire. On avance bien. Ça mérite une bonne note. La triche quand elle use d’un matériel de piètre qualité peut envoyer son auteur aux urgences. Un élève  de première année du bac de Temara l’a  appris à ses dépens  vendredi dernier à cause d’une  puce bas de gamme  introduite dans l’oreille pour se faire communiquer les réponses à distance. Tout n’est pas perdu, ce malheureux élève a au moins le sens de l’écoute ! Le recours massif à l’artillerie anti-probité au bac appelle une série de questions que Chakib Benmoussa et ses services ainsi que les membres du Conseil endormi de Habib El Malki devraient normalement se poser de vive voix : De quoi cette fraude industrielle et industrieuse est-elle le nom?  

Comment en est-on arrivé là? Par quel glissement sociologique ou indigence intellectuelle ou délitement moral, le Maroc s’est-il laissé happer par cette spirale de la combine scolaire à grande échelle ? Le baccalauréat dans un système déjà dévalorisé ne vaut pas grand-chose. Mais consolons-nous : les bacheliers qui en sont issus justifient au moins d’un savoir-faire précieux en «fraudologie». Pourquoi ne pas organiser des concours dans cette discipline pour évaluer les aptitudes  des candidats qui seront certainement nombreux à se présenter. Les lauréats auront la lourde tâche de d’assurer la relève des professionnels de la combine qui traversent bien des secteurs et dont le métier rapporte beaucoup plus que le travail et le sérieux. Or, c’est connu on éduque par l’exemple et les «exemples» donnés en société sont aux antipodes des valeurs de probité et de l’effort… En principe, on réforme l’école pour transformer la société. Au Maroc, il faut d’abord réformer la société pour transformer l’école. Voilà un sujet pour faire blablater dans les séminaires…

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