Un séisme ça n’arrive pas qu’aux autres. Le Maroc qui en a connu par le passé, celui d’Agadir en 1960 et d’El Hoceima en 2004, vient d’en subir de nouveau les ravages dans la région d’El Haouz et Taroudant où le cours de la vie fut brutalement interrompu dans un décor apocalyptique. Douars et villages entiers détruits.
De nombreuses familles sont décimées. Les morts et les blessés se comptent par milliers. La détresse des rescapés qui ont perdu des proches et le peu qu’ils possédaient, se limitant à un toit et du bétail, est indescriptible. Mais dans ce contexte de deuil et de douleur, de désolation et de souffrance qui obscurcit l’horizon des survivants, une belle lumière jaillit. Celle de la solidarité du peuple marocain avec les sinistrés dont il a partagé le malheur en affluant dans les centres de transfusion sanguine pour faire don de son sang. Pas besoin que les vivres, les couvertures, les tentes et autres médicaments viennent de l’étranger par convois humanitaires. Les Marocains ont tenu à ce qu’ils s’en chargent eux-mêmes.
C’est ainsi que des milliers de bénévoles issus de toutes les régions du pays se sont mobilisés comme un seul homme aux côtés de la Fondation Mohammed V pour la solidarité et de centaines d’associations pour acheminer les aides jusqu’aux zones sinistrées. Venant de Casablanca, Rabat, Fès, Tanger et des provinces du sud…, plusieurs défilés de véhicules interminables, formés de semi-remorques, minibus et pickups, ont mis le cap sur Marrakech et son arrière-pays dévasté. Comme vous pouvez l’imaginer, la tâche n’a rien d’une sinécure ou d’une excursion , il fallait , avec le risque réel de chute des roches dans le sillage du séisme, emprunter des petites routes qui serpentent dangereusement à travers les montagnes du haut-Atlas pour faire parvenir aux populations meurtries les cargaisons de fournitures humanitaires maison. Dans l’épreuve, les Marocains savent être solidaires et généreux dans des proportions qui en ont bouché un coin à plus d’un. Question de fierté nationale sans doute. Profondément croyants, ils savent aussi dans ce genre d’épreuve naturelle accepter leur sort dans la sérénité en restant dignes devant le malheur. C’est la principale leçon à tirer de cette tragédie nationale qui a frappé le Maroc au cœur, son talon d’Achille : le monde rural. Le tremblement de terre du 8 septembre a mis en lumière un autre grand enseignement à tirer du séisme, ce Maroc profond de toutes les fragilités, enclavé et marginalisé. Fragilités de l’habitat traditionnel, typique de l’Atlas, construit pour la plupart en pisé et fragilités sociales constituent le dénominateur commun de ces localités. Derrière les paysages de cartes postales qu’offrent ce Maroc-là qui font le bonheur des touristes se cache une réalité peu reluisante tricotée aux déficits et privations de toutes sortes. Sous le décombres d’El Haouz et de Taroudant ont émergé des séquences qui disent l’ampleur de l’indigence.
Le tremblement de terre d’El Haouz ouvre la voie de la reconstruction de ce qui a été détruit sur de nouvelles bases. Il ne s’agit pas de bétonner le Haut-Atlas au risque de lui faire perdre ce qui fait justement son attrait mais de reproduire un bâti solide à partir des matériaux anciens mais respectueux des normes parasismiques.
Située à environ 70 km à l’ouest de l’épicentre du séisme localisé à Ighil, Marrakech, qui s’en est tirée avec quelques dégâts notamment dans l’ancienne médina, a perdu un arrière-pays d’une grande richesse et beauté. Moulay Brahim. Ourika, Ouirgane…Réduits en ruines par le séisme, ces célèbres villages berbères dont les habitants, fiers, braves et généreux vivent essentiellement du tourisme offrent des hauts lieux d’excursions pour les touristes aussi bien étrangers que locaux.
Principale destination touristique du Maroc et porte-drapeau de son rayonnement à l’international, Marrakech ne peut plus s’accommoder à ses portes d’un hinterland vulnérable et sous-équipé alors qu’il contribue grandement à la prospérité de son industrie des voyages. Cette situation crée un contraste saisissant entre une cité ocre moderne qui baigne dans le luxe et des zones environnantes à vocation touristique qui ne vivent pas correctement de leur trésor naturel et culturel. Il y a là assurément un problème de redistribution des richesses et de formation des habitants aux métiers du tourisme.
A quelque chose malheur est bon, dit l’adage. Le tremblement de terre d’El Haouz ouvre la voie de la reconstruction de ce qui a été détruit sur de nouvelles bases. Il ne s’agit pas de bétonner le Haut-Atlas au risque de lui faire perdre ce qui fait justement son attrait mais de reproduire un bâti solide à partir des matériaux anciens mais respectueux des normes parasismiques. Là réside tout le défi pour le gouvernement qui doit veiller au respect des nouvelles règles en commençant d’abord par interdire, dans le cadre du programme de relogement des sinistrés, l’autoconstruction synonyme d’habitat anarchique. Cette exigence gagnerait à être inscrite dans le marbre d’une loi définissant les règles d’urbanisation en montagne. Il s’agit de répondre à un certain nombre de questions cruciales comme celles-ci : Faut-il continuer, à la lumière de ce séisme dévastateur, à s’accommoder de cet habitat montagnard précaire et fragile, éparpillé et difficile d’accès? Ne faudrait-il pas promouvoir d’autres formes de logement plus sécurisés dans des plaines aménagées? Il y va désormais de la sécurité des populations qu’il va falloir aussi sauver en leur évitant de redevenir plus pauvres qu’ils ne l’étaient avant le séisme. Vaste programme qui implique une redéfinition des priorités. La tragédie du Haut-Atlas est un coup rude pour le Maroc dont elle met à l’épreuve à la fois les finances publiques et la gouvernance politique. Immense et déterminant, le chantier de la reconstruction nécessite des moyens colossaux mais surtout une vision ambitieuse pour le Maroc des campagnes qui rompt avec les stratégies d’improvisation et de saupoudrage habituelles. Une espèce de plan Marshall pour amorcer une transformation en profondeur de cette partie du Maroc qui ne bénéficie pas des fruits de la croissance et qu’il faudrait sortir de la logique d’assistanat. Le nouveau plan de développement, s’il devait connaître un jour un début d’exécution, gagnerait assurément à prioriser dans les lois de finance à venir ces territoires oubliés du royaume.