L’axe Rabat-Madrid: La réconciliation impossible ?

« Avec le Maroc, nos gouvernements respectifs ont convenu de redéfinir ensemble une relation pour le XXIe siècle, basée sur des piliers plus forts et plus solides », a déclaré le souverain espagnol. «Les deux nations doivent marcher ensemble pour commencer à matérialiser cette nouvelle relation dès maintenant ». Le message, véhiculé par cette déclaration du roi Felipe VI d’Espagne à l’occasion de la réception, donnée lundi 17 janvier  en l’honneur des membres du corps diplomatique accrédités à Madrid, est clair : L’Espagne veut tourner la page de la tension entre les deux pays, provoquée par l’affaire Brahim Ghali et, parvenir,  à l’instar de l’Allemagne qui a réussi récemment à mettre fin à sa brouille diplomatique avec le Maroc en raison de « malentendus profonds », notamment sur le dossier du Sahara, à  renouer avec son voisin immédiat. Le propos royal trouvera-t-il un écho favorable dans les sphères du pouvoir marocain? Ce qui est certain c’est que le chemin de la normalisation semble plus compliqué avec Madrid qui tarde aux yeux de Rabat d’envoyer des signaux positifs sur le dossier de l’intégrité territoriale du Royaume en agissant à la manière allemande. Le nouveau gouvernement fédéral allemand dirigé par Olaf Scholz a en effet montré dès son entrée en fonction sa volonté de tourner la page de la crise diplomatique provoquée en mars 2021 sous l’ère d’Angela Merkel, via un communiqué du ministère allemand des Affaires étrangères daté du 14 décembre dernier. La diplomatie allemande a reconnu que le Maroc est un « lien important entre le Nord et le Sud, à la fois politiquement, culturellement et économiquement », et un « partenaire-clé» de l’Union européenne et de l’Allemagne en Afrique du Nord tout en qualifiant de « contribution importante » à un règlement du faux conflit du Sahara marocain le plan d’autonomie proposé par le Royaume. En début 2022, c’est au tour du président allemand Frank-Walter Steinmeier d’enfoncer le clou de la réconciliation en adressant dans un long message laudatif une invitation à S.M le Roi Mohammed VI pour effectuer une «visite d’État en Allemagne» et de «seller un nouveau partenariat entre les deux pays».  

Tout en considérant que «le plan d’autonomie présenté en 2007 comme un effort sérieux et crédible du Maroc et comme une bonne base pour parvenir à un accord » au sujet du conflit du Sahara, Frank-Walter Steinmeier a salué « la contribution majeure de Votre pays en faveur de la stabilité et du développement durable de la région ». Avec ces deux textes clairs comme de l’eau de roche, Berlin a coché toutes les cases de la normalisation avec Rabat. Rien de comparable côté espagnol, surtout sur la première cause des Marocains, ses territoires du sud dont les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc. Depuis la nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères le 12 juillet 2021, José Manuel Albares, en remplacement de celle qui a été jugée responsable de l’entrée sous une fausse identité sur le sol espagnol du chef du Polisario, pas d’initiative qui montre un signe de dégel dans les relations bilatérales.

Le Maroc attend surtout de son voisin, ancien colonisateur du Sahara, de clarifier sa position sur ce dossier en se libérant d’une ambivalence que les responsables marocains ont de moins en moins du mal à accepter…

Pourtant, les observateurs ont cru à un retour rapide à la normale après la cérémonie de prestation de serment devant le roi où M. Albares a qualifié le Maroc de « grand ami » avec lequel il faut « renforcer nos relations». La crise prend même des allures d’une guerre diplomatico-économique qui ne dit pas son nom avec l’exclusion pour deux années consécutives (l’été 2020 et 2021) des ports espagnols de l’Opération Marhaba au profit de lignes maritimes françaises et italiennes. Le manque à gagner de ce boycott pour l’économie espagnole a été évalué par la presse locale à quelque 1,15 milliard d’euros au titre des dépenses (séjours en hôtels, frais de bouche, billets des ferries, stations-service…) des Marocains de l’étranger lors de leur retour au bercail via les ports espagnols notamment celui d’Algésiras.

La stratégie de contournement de ces derniers est venue se greffer sur l’aggravation de la crise économique aiguë qui frappe les présides de Sebta et Melilia depuis la décision des autorités marocaines, intervenue en 2019, d’assécher les circuits de contrebande en provenance des deux présides. Alors qu’une éclaircie tardait à se manifester dans le ciel des relations maroco-espagnoles, le ministère marocain de la Santé se mêle bizarrement de cette crise diplomatique persistante  pour ajouter à la tension avec un communiqué publié le 20 décembre dernier pour  justifier le choix du Portugal et non de l’Espagne comme point d’embarquement des Marocains bloqués à l’étranger pour cause d’Omicron. « Il n’est pas possible de reprendre les vols Espagne-Maroc, faute de respect des protocoles sanitaires liés au virus du Covid-19 par les autorités espagnoles, et en l’absence de garanties tangibles sur leur respect et le contrôle des pass de vaccination, et l’état de santé des voyageurs », ont expliqué les services de Khalid Ait Taleb. Réplique immédiate du chef de la diplomatie espagnol qui a rejeté  ces propos en les qualifiant d’inacceptables.

Liés par l’histoire et la géographie ainsi que par une communauté de destin,  les deux pays sont pourtant  condamnés à dépasser leurs différends  et à aller plus loin dans la défense de leurs intérêts  mutuels. Les responsables marocains et espagnols sont convaincus que ce qui rapproche les deux royaumes est beaucoup plus important que ce qui les divise. Mais reste à traduire cette conviction partagée en actes forts qui épouseraient les contours d’une alliance stratégique qui va au-delà de la coopération classique sur les dossiers de lutte contre l’émigration clandestine, le terrorisme ou le trafic de drogue. La crise sanitaire, qui a déstabilisé les hommes et ravagé les économies tout en redessinant la géopolitique mondiale, fait entrevoir, pour le Maroc et l’Espagne, un voisinage plus fécond qu’il ne l’a été jusqu’ici. A condition que les dirigeants des deux pays fassent une relecture dynamique et tournée vers l’avenir de leur histoire commune. Dans cette optique, Le Maroc attend surtout de son voisin, ancien colonisateur du Sahara, de clarifier sa position sur ce dossier en se libérant d’une ambivalence que les responsables marocains ont de moins en moins du mal à accepter…

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