Le problème n’est pas mineur

Abdellah Chankou, directeur de la publication.

Le verdict est tombé mardi 14 octobre 2025 dans l’affaire des troubles qui ont secoué récemment la commune de Aït Amira. Les peines oscillent entre 3 et 15 ans de prison ferme pour 17 accusés reconnus coupables d’actes de violence et de vandalisme dans la foulée des manifestations pacifiques de Gen Z. « 70 % des participants » à cette jacquerie étaient des mineurs, selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur. Et de s’interroger sur « la responsabilité des mères et des pères dans l’encadrement de leurs enfants ». Le chiffre est assez effarant pour pousser les décideurs à tenter de comprendre en recourant aux experts (sociologues, psychologues…) les ressorts de l’enfance délinquante. Mais faut-il réellement s’étonner lorsque l’on sait que les mineurs casseurs en question sont essentiellement issus des communes rurales poussiéreuses et marginalisées situées dans la périphérie d’Agadir ? Une « ceinture de misère», installée souvent dans des zones périurbaines, concentre la pauvreté, le chômage et toutes les formes d’exclusion. Le Maroc regorge de ce genre de territoires ghettoïsés avec une forte concentration de neets, connus pour être le terreau du désespoir social, des rébellions et d’émeutes. C’est là où se crée des citoyens de seconde zone privés des droits fondamentaux (Éducation, santé, logement, loisirs, emploi et mobilité), qui, au premier détonateur, s’insurgent en cassant les biens publics et privés et en s’en prenant aux symboles de l’autorité. C’est exactement ce scénario noir qui s’est produit à Lqliaa et Aït Amira et sous d’autres cieux confrontés à une combinaison de misère économique et de marginalisation sociale.

Avant de mettre en cause la responsabilité des parents dans les événements de Lqliaa et Aït Amira, il faudra d’abord interroger la chaîne des responsabilités en matière des politiques publiques et des collectivités locales.

Les conséquences de cette situation sont dévastatrices: perte d’estime de soi (intériorisation du statut d’infériorité), rupture du lien social (sentiment de ne pas appartenir au même pays) et transmission intergénérationnelle (les enfants héritent de ce statut dévalorisé). Sur des terrains abandonnés et secs, ce ne sont pas les fleurs qui poussent mais la chienlit. Les troubles qui ont secoué le pays et inquiété plus d’un se sont produits à quelques encablures d’Agadir, ville qui tire sa prospérité du tourisme, de la pêche et de l’agriculture. Là réside le grand mal du Maroc : les disparités territoriales qui produisent les inégalités sociales avec une citoyenneté à plusieurs vitesses (citoyens qui, dans les faits, n’ont pas les mêmes droits), une délégitimation progressive des institutions (L’État perçu comme injuste ou démissionnaire). Une société ainsi fracturée et inégalitaire peut construire de beaux stades et des complexes de hockey onéreux mais aura du mal à bâtir un projet de société pour tous. C’est pour cela que SM le Roi Mohammed VI, conscient de ces dangers, n’a de cesse, y compris dans son dernier discours devant le Parlement du 10 octobre 2025, d’exhorter les élus et le gouvernement à redoubler d’efforts pour lutter contre les inégalités spatiales. Ce n’est pas un simple outil d’aménagement du territoire, c’est un impératif pour préserver l’unité et la stabilité d’une nation. Autrement dit, la cohésion territoriale est le fondement de l’unité nationale. Sur ces questions décisives, le souverain est en avance sur le personnel politique plombé, surtout à l’échelle de l’action locale, par l’incompétence, la prévarication et un déficit grave d’initiative et d’imagination. Il est grand temps d’écrémer une nouvelle élite territoriale capable d’élaborer une politique de proximité efficiente qui doit être l’alliance d’une vision stratégique et d’une action de terrain.

Avant de mettre en cause la responsabilité des parents dans les événements de Lqliaa et Aït Amira, il faudra d’abord interroger la chaîne des responsabilités en matière des politiques publiques et des collectivités locales. Objectif : identifier les défaillances, les insuffisances et éventuellement les actes d’incurie qui ont transformé ces deux localités en poudrières. En somme, une enquête s’impose pour corriger les dysfonctionnements et sanctionner les coupables si l’on veut comprendre réellement ce qui s’est passé et extirper de la racine le mal qui ronge le pays : les défaillances de gouvernance.

Dans des contextes de marginalisation sociale, le rôle des parents est extrêmement problématique et ne saurait s’expliquer par le seul manquement à leur devoir d’éducateurs. Affaiblis et usés par leurs conditions de vie très difficiles, leur énergie se trouve entièrement absorbée par la lutte pour la survie quotidienne. Un quotidien qui pèse des tonnes surtout dans un contexte de vie chère sans précédent. Et puis, pensez-vous que des parents, eux-mêmes victimes de ce Maroc inégalitaire (peu scolarisés et instruits) transmis en héritage de père en fils est objectivement en mesure d’empêcher son enfant frustré de basculer dans la violence ? Certes, rien n’excuse la violence qu’elle soit le fait d’adultes ou de mineurs. Pointer du doigt uniquement les parents serait injuste. Cette vision pèche par son caractère réducteur. En fait, la question est moins de savoir « pourquoi les parents n’ont-ils pas contrôlé leurs enfants? » que « qu’est-ce qui, dans la société marocaine, a rendu les parents dépassés par les événements et si impuissants à exercer leur rôle ? »

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