Les nouveaux prédateurs

La crise sanitaire a révélé au grand jour, témoignages poignants et séquences confondantes à l’appui, la voracité de certaines cliniques véritablement hors-la-loi : l’exigence de s’acquitter d’un droit d’entrée pharamineux en cash ou sous forme d’un chèque de garantie pour l’admission des malades Covid en réanimation. Dopée par la saturation des services en soins intensifs qui rend les places trop rares, cette pratique n’existe nulle part ailleurs, sauf au Maroc où se faire soigner en ces temps «covidement» incertains est devenu très problématique.

Le scandale du ticket d’entrée onéreux est le point d’orgue d’une série de dérives que les Marocains ne connaissent que trop bien, habitués qu’ils sont aux agissements peu orthodoxes de nombre de cliniciens dénoncés à plusieurs reprises par voie de presse ou via les réseaux sociaux. La dernière dénonciation a fait beaucoup de bruit. Et pour cause. Elle était le fait du secrétaire général du ministère de l’Économie et des Finances Zouhaïr Chorfi qui a profité de la première édition des assises de la fiscalité  en mai 2019 pour  critiquer avec audace et panache devant un aréopage d’acteurs publics et privés de premier plan les procédés illégaux, paiement au noir et chèques de garantie, en vigueur dans le milieu des cliniciens. Ce qui n’a pas plu à leur syndicat qui a réagi vigoureusement en menaçant de poursuites judiciaires  l’auteur de ce qu’il a considéré comme un acte diffamatoire. Cette façon de faire, qui s’assoit sur l’éthique et le serment d’Hippocrate, porte un nom : la marchandisation de la santé. On y est.

En vérité, celle-ci entre en résonance avec la loi 113-13, mitonnée en 2014 par l’ex- ministre de la Santé EL Houssaine Louardi, permettant bizarrement aux non-médecins de se lancer dans le business des cliniques. Le premier à s’engouffrer dans la brèche dans un délit d’initié flagrant n’était autre que Moulay Hafid Elalamy qui bien avant la promulgation de ce drôle de texte s’était arrangé pour racheter des cliniques sur l’axe Rabat-Casa avant de les revendre après qu’il s’est rendu compte que les médecins ne sont pas aussi dociles que les téléopérateurs des centres d’appel et que la santé pour profitable qu’elle est n’est pas facile à gérer.

Les Marocains sont aujourd’hui livrés à une double rapacité, celle des écoles payantes et des cliniques privées. Sans que les pouvoirs publics n’interviennent pour les protéger par un encadrement des prix qui dans les deux secteurs sont exorbitants, voire scandaleux ou par une stricte application de la loi afin de sanctionner les abus qui sont légion.

Ouvrir le capital des structures de soins aux forces de l’argent visait, selon ses promoteurs, à les encourager à investir dans les régions reculées du Maroc inutile pour les doter d’une offre sanitaire qui leur fait toujours atrocement défaut. En plus des cliniques, les Marocains de ces contrées sont très sous-équipés en médecins spécialistes, laboratoires de biologie médicale et autres laboratoires d’analyses qui restent concentrés dans les grandes villes. Ce qui montre clairement que la loi Louardi-Moulay Hafid, qui porte en elle les germes d’une privatisation à outrance de la médecine, avait principalement pour but de permettre au ministre businessman et ses semblables- que le métier du bistouri fait saliver- de mettre un pied dans un secteur devenu très juteux. En effet, celui-ci  promet à ses opérateurs non-médecins des gains mirifiques à engranger sur les décombres d’un hôpital public miné par mille et un maux selon le même modèle de l’enseignement privé qui a bâti sa prospérité sur la crise profonde qui frappe l’école publique. Résultat: Les Marocains sont aujourd’hui livrés à une double rapacité, celle des écoles payantes et des cliniques privées. Sans que les pouvoirs publics n’interviennent pour les protéger par un encadrement des prix qui dans les deux secteurs sont exorbitants, voire scandaleux ou par une stricte application de la loi afin de sanctionner les abus qui sont légion.  

Deux secteurs régaliens, l’éducation nationale et la santé, relevant des principales missions d’un État, pâtissent d’une défaillance structurelle. Ce qui a balisé le terrain à une prédation scandaleuse menée par les forces de l’argent qui plument des citoyens devenus une proie facile. Tel est le constat désolant qui s’est imposé à tous et devant lequel les responsables font preuve d’une passivité pour le moins étonnante.    

Ces dérives mercantiles, qui ne sont in fine que la résultante de la mauvaise gouvernance publique née de l’incurie des gouvernements qui se sont succédé depuis au moins trois décennies, prennent en otage des pans entiers de la population qui se saignent aux quatre veines pour se soigner convenablement et offrir à leurs enfants une scolarité digne de ce nom. Ce n’est ni juste, ni acceptable. Il est urgent que les pouvoirs publics prennent ces deux problématiques essentielles à bras-le-corps et réfléchissent à des solutions pratiques et courageuses. Objectif : extraire les citoyens des griffes de la prédation sanitaire et scolaire qui suce leur sang. Une bonne piste à cet égard consisterait en la mise en place d’un partenariat public-privé fondé sur la culture de la performance, l’obligation de résultat et la reddition des comptes.

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