Quelle lecture politique donner à l’autonomisation des coordinations syndicales dans la crise sans précédent traversée par l’école publique ? Ce phénomène qui n’a rien d’un fait conjoncturel est au contraire symptomatique d’une profonde défiance envers le syndicalisme traditionnel déjà frappé de discrédit. Tout porte à croire que nous sommes devant une lame de fond qui pourrait installer de nouveaux rapports de force sociaux. Visiblement, les référents d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui.
« Les syndicats les plus représentatifs», comme ils sont présentés dans le jargon officiel, ont beau se réunir autour de la grève des enseignants et arriver à des accords pour y mettre fin, ils ne sont pas entendus par la corporation qu’ils sont censés encadrer et représenter. Ceux qui devaient être en classe sont descendus dans la rue, multipliant sit in et démonstrations de force avec force slogans pendant que des millions d’élèves, otages d’un bras de fer dangereux, sont privés de cours et d’apprentissage.
Un pied de nez aux syndicats qui ont fait étalage de leur impuissance face à ce mouvement social qui s’est durci au fil des jours, obligeant le gouvernement à céder en gelant le statut unifié de la discorde et à revaloriser les salaires et les indemnités des grévistes.
Plusieurs facteurs se sont certainement conjugués pour aboutir à une telle tension sociale, née de la perte de confiance du corps enseignants à la fois dans les syndicats classiques et le gouvernement.
En termes clairs, cela signifie que l’UMT, UGTM et autres FDT, doublés par des coordinations unies dans le rejet de leurs centrales, n’ont plus la main sur le dossier de l’enseignement avec tout ce que cela implique comme perte d’influence et de représentativité. Ce n’est pas juste une déduction , c’est une réalité qui a éclaté au grand jour à l’occasion de cette crise sans précédent et que le pouvoir doit bien analyser pour réajuster le tir et agir rapidement en conséquence. Le grand risque qui guette en effet l’exécutif c’est que le « coup » des coordinations n’inspire d’autres corporations où couve depuis des années un fort mécontentement social et n’entraîne dans son sillage un effet de contamination susceptible de faire éclater de nouveaux conflits sociaux. Grosse alerte. La paix sociale, qui a un coût et pas de prix, ne semble jamais être aussi menacée. Plusieurs facteurs se sont certainement conjugués pour aboutir à une telle tension sociale, née de la perte de confiance du corps enseignants à la fois dans les syndicats classiques et le gouvernement. Le coup de Jarnac des coordinations syndicales va au-delà du statut unifié dont bien des dispositions ont cristallisé la colère des grévistes et leur détermination. Il intervient dans un contexte particulier marqué par l’érosion inquiétante du pouvoir d’achat de la population (couches démunies et classe moyenne) du fait de la vie de plus en plus chère induite par une inflation galopante que les décideurs, faute de mesures appropriées, n’ont pas su juguler.
A cela il convient d’ajouter le creusement continu des inégalités sociales et de revenu, le cumul des frustrations sociales, le sentiment que les syndicats sont devenus plus proches des centres de décision politique que de leurs troupes sur fond de flambée des pratiques clientélistes et népotiques. Sans oublier les transformations sociales, économiques et numériques qui sont en train de bousculer l’ordre établi depuis des décennies. Ce qui pourrait, à travers la grève des enseignants et leur détermination à obtenir gain de cause, préfigurer un phénomène de désintermédiation, qui n’est pas à sous-estimer. L’affaiblissement et la perte de crédibilité des corps intermédiaires que sont les acteurs syndicaux et les partis politiques ainsi que le début de leur contournement doivent interroger profondément les pouvoirs publics.
Assailli de toutes parts par de multiples défis en interne, le Maroc est au milieu du gué. En plus de la nécessité impérieuse de rénover l’action partisane et le combat syndical, il est urgent de réinventer le dialogue social. Mais avec quels partenaires face à l’obsolescence programmée de la classe politique et du monde syndical ?