Les guerres ne provoquent pas seulement tueries, destructions et désolation. Elles sont aussi des accélérateurs de changements, voire de ruptures qui font avancer le monde. Ainsi de la guerre déclarée à l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine. Les petits écrans sont saturés d’images de massacres de civils et de migrations massives des populations. Mais l’onde de choc des hostilités touche la planète entière, notamment l’Europe dont les dirigeants ont pris soudainement conscience de leur grande dépendance au gaz russe et de l’urgence d’en sortir. Si dans l’immédiat, il s’agit pour les pays de l’UE de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour faire tourner leurs usines et chauffer les foyers, sur le long terme, le principal enjeu est de miser davantage sur les énergies renouvelables fournies par l’éolien et le solaire mais aussi le biogaz issu des déchets agricoles et ménagers. Les experts de la commission de Bruxelles, qui ont mis sur la table toutes les options, planchent sur d’autres pistes qui, conjuguées les unes aux autres, permettraient à l’Europe de vivre d’ici à quelques années avec « zéro hydrocarbure russe ». De par sa dimension planétaire et ses diverses implications économiques et géostratégiques, le conflit russo-ukrainien est en train d’accélérer la transition énergétique qui a démarré dans plusieurs pays du globe. L’atteinte de la neutralité des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) qui sont néfastes pour l’environnement pourrait dès lors intervenir avant cette échéance initiale.
Comme de nombreux pays industrialisés ou en développement non producteurs des hydrocarbures, le Maroc est conscient de l’importance vitale de l’indépendance énergétique. Produire sa propre énergie sans être à la merci des bouleversements fâcheux des marchés, qui sont porteurs d’instabilité économique mais aussi de risques sociaux, n’a pas de prix. Et c’est titre que la Royaume est concerné par cette guerre mondialisée qui fait évoluer son économie dans un contexte très délicat avec une pression grandissante sur ses finances publiques du fait de la hausse vertigineuse des charges de la compensation (gaz butane et subvention des transporteurs) induite par la flambée spectaculaire des cours mondiaux du pétrole. Certes, ce retournement de conjoncture brutal, qui grève sérieusement le pouvoir d’achat du grand nombre, a de quoi – par ailleurs – conforter les décideurs marocains dans leurs choix de miser très tôt sur les énergies renouvelables, même si l’objectif initial de 42% d’énergies propres dans la capacité de production d’électricité à l’horizon 2020 n’a pas été atteint. Mais curieusement, cette crise préjudiciable à plus d’un titre n’a inspiré aucune réflexion d’envergure au Gouvernement qui s’est limité à sortir son chéquier pour dissuader les transporteurs de répercuter ces hausses sur les prix des produits de grande consommation et les déplacements en transport en commun. Mais jusqu’à quand ?
Là où le Royaume a du mal à avancer c’est dans la traduction de ses engagements environnementaux forts en actes concrets dans la vie des Marocains.
Là où le Royaume a du mal à avancer c’est dans la traduction de ses engagements environnementaux forts en actes concrets dans la vie des Marocains. A commencer par le secteur automobile où le pays roule à contre-courant de la dynamique mondiale. Si en Europe, le marché des véhicules hybrides représente quelque 20% du parc automobile, au Maroc, il est à peine de 3%. Pas de quoi rouler des mécaniques. Cette situation s’explique par une multitude de freins, notamment la cherté des véhicules électriques, la faiblesse de la sensibilisation à l’urgence climatique et l’inexistence d’un réseau de bornes de recharges. L’absence de mesures d’aide et autres incitations fiscales accordées aux acheteurs de modèles plus respectueux de l’environnement, à l’instar de ce qui se passe en Europe, contribuent tout aussi bien au maintien de la diésélisation du marché national dans des proportions considérables.
Le pays, qui a fait jaillir du désert de Ouarzazate le plus grand complexe solaire du monde, a bizarrement imposé des mesures jugées restrictives aux autoproducteurs d’électricité dans le nouveau cadre juridique en la matière, adopté en novembre 2021 en conseil de Gouvernement, qui ressemble à s’y méprendre à un code pénal bis. L’énergie électrique doit être produite pour sa propre consommation et en cas d’excédent, celui-ci doit être obligatoirement dans la limite de 10%. Autrement, le contrevenant encourt des sanctions pénales et financières. Au lieu de les rassurer en libérant les énergies, les professionnels du secteur ont exprimé de vives inquiétudes sur un texte dont ils ont critiqué de nombreuses dispositions. Ce genre de couacs met en lumière le décalage entre la stratégie officielle et les besoins du pays réel. Là où l’on voit que la transition énergétique, célébrée dans les discours, a du mal à déployer ses ailes dans la réalité de tous les jours et à faire son entrée dans la vie des gens.