Le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit serait mieux inspiré de s’attacher les services d’un « conseiller » très intelligent et vertueux pour révolutionner le fonctionnement des communes. Robot qui fait appel à l’intelligence artificielle, ce conseiller baptisé ION vient de prendre ses fonctions au centre-ville de Bucarest, la capitale de Roumanie, où il est chargé de recueillir à partir d’un hashtag sur les réseaux les attentes, suggestions et autres problèmes des habitants qu’il transmet ensuite sous forme de rapports au gouvernement. Déçus par leurs conseillers communaux dont l’évocation leur inspire très peu de choses positives, les Marocains ne manqueront pas d’applaudir fortement une initiative potentielle de leur remplacement qui n’est que bénef aussi bien pour les populations que pour les pouvoirs publics.
Abdelouafi Laftit sautera-t-il le pas ? Une chose est sûre : le bilan désastreux de 47 ans de charte communale adoptée en 1976 milite pour la transformation en profondeur par le recours aux Smartbot de l’univers opaque des collectivités territoriales. Et pour cause. Celles-ci n’ont enfanté au fil du temps que des profils comme Moubdie (Fkih Ben Saleh) et avant lui Houas (Had Soualem) ainsi qu’une flopée de leurs congénères plus ou moins illustres envoyés régulièrement en prison pour prévarication communale à grande échelle. Encore que ces spécimen ne représentent que l’arbre qui cache la forêt d’une rapine généralisée qui n’a jamais connu de répit, renouvelée à chaque rendez-vous électoral, au grand dam d’une population livrée aux ripoux des élections locales.
Vidée depuis longtemps de sa substance, la démocratie locale à la sauce marocaine rime avec les pratiques les moins avouables : corruption, concussion, malversations, clientélisme et trafic d’influence. Banalisées à force de complicité des partis et de passivité des autorités, ces méthodes ont fini par tuer la crédibilité de l’action communale, devenant monnaie courante dans un paysage où la notion de service honnête à la communauté est illusoire. Sauf à continuer à se mentir à soi-même ou à s’accommoder de cette situation désastreuse, l’action locale a montré de multiples dérives sur le terrain, prenant en otage les intérêts des citoyens et compromettant un développement cohérent des villes et des campagnes.
Délégations de signature juteuses, marchés publics sur mesure, corruption à tous les étages… La commune dans ce pays est une source extraordinaire d’enrichissement indu…
Le péché originel de cette mascarade curieusement reconductible par tacite accord réside dans la facilité d’accès au statut d’élu, là où il aurait fallu que le ticket d’entrée soit cher par l’instauration de critères draconiens pour les candidatures. Objectif : Écrémer une élite locale diplômée dotée de certaines aptitudes gestionnaires et justifiant de valeurs éthiques. Capable aussi de répondre aux aspirations de ses électeurs en projetant ses villes dans la modernité. L’état de nombre de centres urbains, livrés à toutes sortes de nuisances et de dysfonctionnements, met le Maroc a des années lumières des Smart cities. Le concept de celles-ci relèverait de la science-fiction en restant figé au stade de beaux discours tant que la gouvernance municipale n’aura pas fait son aggiornamento. Comment pouvait-il en être autrement avec des candidats qui transforment les élections en méga souk pour l’achat des voix des électeurs à coups de millions lourds. Les plus naïfs savent que ceux-là cherchent à se servir et non à servir la collectivité. Délégations de signature juteuses, marchés publics sur mesure, corruption à tous les étages… La commune dans ce pays est une source extraordinaire d’enrichissement indu… Tout le monde le sait, pouvoirs publics et partis politiques. Mais au nom de l’on ne sait quelles considérations, les uns et les autres s’accommodent de ce marché de dupes quitte à ce que le ministère de l’Intérieur et la Cour des comptes mobilisent ensuite des moyens humains et financiers considérables pour contrôler le travail des « communards » que l’on sait d’avance plein de micmacs en tout genre ? N’existe-il pas un autre moyen plus efficace pour mieux protéger en amont l’argent public tout en favorisant l’émergence avec le moins de dégâts possible d’une action locale nourrie d’une vision à long terme du moins pour les chantiers structurants?
Le Maroc aurait pu au moins installer un cercle vertueux dans la gestion des grandes villes en les extirpant de cette compétition électorale de toutes les manigances au profit d’une gouvernance technocratique sur la base d’un plan de développement aux objectifs préalablement définis ? C’est connu, l’improvisation produit l’anarchie surtout lorsqu’elle est nourrie d’impéritie. Une métropole comme Casablanca, par exemple, qui se positionne en hub africain, aurait certainement arboré un autre visage, plus agréable et moins défiguré, avec une meilleure planification urbaine…
Plus grave encore, les sociétés de développement local (SDL), mises en place en vertu du dahir de 2009 réformant la charte communale de 1976, pour remédier aux défaillances des communes en matière de développement par la mise en œuvre de projets structurants, n’a pas produit les résultats escomptés. L’expérience de la capitale économique à cet égard avec une multitude de SDL est très significative. Dans les faits, ces nouvelles enseignes ont tourné à l’usine à gaz engloutissant des budgets colossaux pour des projets réalisés depuis longtemps mais fermés au public jusqu’ ce jour ( forêt de Bouskoura, grand théâtre de Casablanca, parc zoologique…) dans un silence assourdissant de la mairie de Casablanca et des autorités de tutelle… A ces niveaux d’amateurisme et de ratages, il ne reste plus peut-être qu’à donner les villes du pays en gestion déléguée…