Le diagnostic de Redouane Semlali

Redouane Semlali, président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP).

Le président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP), Redouane Semlali, explique dans cet entretien les préalables d’une relation de confiance entre les patients et les cliniciens tout en abordant les moyens à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de l’offre de soins.

Le Canard Libéré : Comment les cliniciens nationaux ont-ils accueilli la décision royale de généraliser l’AMO à l’ensemble de la population ?

Redouane Semlali : Nous pensons que la décision royale est d’abord une chance pour le citoyen marocain qui a le droit comme tout citoyen respecté par son pays d’avoir une assurance et une couverture médicale digne de ce nom. Bien entendu, les cliniciens sont heureux d’apprendre cette nouvelle parce que la généralisation de l’AMO permettra à beaucoup de patients d’accéder aux soins en réglant certains problèmes d’ordre financier qui des fois rendent difficile la relation médecin-malade. En somme, ça mettra les praticiens dans une position plus confortable. Ceci dit, bien sûr, il y a des points qui restent à éclaircir et sur lesquels on pourrait revenir.

Qui dit généralisation de l’assurance maladie dit possibilité pour les malades quelle que soit leur situation financière d’aller se soigner dans les hôpitaux ou les cliniques. Un patient démuni et non bancarisé qui se présente dans une clinique avec une assurance basique pour une opération urgente sera-t-il pris en charge ?  

A travers le monde, il existe un système d’assurance maladie universelle où le restant à charge (RAC) pour le patient est pratiquement nul. En, France, quand le patient possède une carte Vitale, il accède gratuitement à la presque totalité des soins et ne paie de sa poche que les soins dispensés par des médecins qui prennent des suppléments d’honoraires ou qui ne sont pas conventionnés.  Ceci étant dit, il est vrai, qu’il existe des patients qui sont en incapacité de s’acquitter du montant restant à charge qui n’est pas uniquement dû à des suppléments d’honoraires mais à   certains traitements qui ne se sont pas remboursables et qui ne figurent pas dans le panier des soins. Il s’agit par exemple d’actes en relation avec certaines nouvelles technologies ou certaines nouvelles acquisitions thérapeutiques. En somme, le système assurantiel parfait n’existe pas. Je pense que nous devons apprendre, nous investisseurs et praticiens, à opter pour des investissements adaptés à notre contexte social et à la volonté de l’équilibre financier de l’assurance-maladie. Chez les Américains cela s’appelle « le minimum requis ». Il va falloir donc que dans nos standards thérapeutiques que l’on mette en place un minimum requis qui permettra, sans recourir à des frais superflus pouvant devenir un obstacle à l’accès aux soins pour les patients indigents, de les soigner sans diminuer leurs chances de guérison.

Les cliniques sont souvent pointées du doigt par la population pour les raisons que vous connaissez. Ces critiques procèdent sans doute d’une méconnaissance de la réalité des cliniques qui agissent dans une logique d’entreprise commandée par les impératifs de rentabilité, compte tenu de l’importance des investissements engagés. Quelles sont les contraintes et les difficultés rencontrées en tant qu’investisseurs et comment sinon les faire supprimer du moins en atténuer le poids ?

Certes, on ne peut pas nier l’existence de pratiques inacceptables dans certaines cliniques. L’association nationale des cliniques privées (ANCP) que j’ai l’honneur de présider les condamne fermement. Fort heureusement, il s’agit d’une minorité. Dans la vision et les objectifs de notre association figure une charte éthique qui conditionne l’intégration de notre communauté. S’agissant de la perception des cliniques par la population, nous n’en sommes pas entièrement responsables aujourd’hui. Sincèrement, comment voulez-vous être accepté par une communauté de patients quand seulement trois malades sur 10 bénéficient d’une couverture médicale? Comment voulez-vous être apprécié par la population alors que la tarification nationale de référence (TNR) est qualitativement et quantitativement insuffisante ?  Le panier de soins mis en 2006 n’a pas changé, des soins qui ne sont pas dans l’arsenal thérapeutique y figurent alors que nombre de stratégies de traitement n’y figurent pas bien qu’elles soient indispensables pour le malade !  La vérité vraie est que le panier de soins toujours en vigueur est devenu insuffisant. La TNR de l’assurance-maladie devait normalement être révisée 3 ans plus tard. Ce qui n’a pas été fait jusqu’à aujourd’hui malgré nos multiples revendications.

Cela dit, le restant à charge du patient avoisine les 60 %, et sincèrement je serais mécontent lorsque je vais dans un établissement de santé et que je paye 60 % des frais alors que je suis censé être pris en charge à hauteur de 80 % ou 90 %. C’est ce qui crée parfois des situations conflictuelles.

Quelles sont de votre point de vue les préalables ou les prérequis pour que les cliniciens exercent leur noble mission dans la sérénité loin de toute pression susceptible de s’exercer au détriment de la première vocation d’un centre de soins qui est de soigner d’abord les malades sans essayer de savoir sur le moment s’ils sont solvables ou non ?

Les cliniques soignent dans l’urgence les patients sans se soucier de leur solvabilité. Nous mettons au défi quiconque de prouver qu’un malade est décédé ou qu’une femme a accouché devant la porte d’une clinique.

Aujourd’hui, sur ce point-là, nous assumons nos responsabilités. En dehors de ce climat de tensions, pour régler ces relations d’argent entre soignant et soigné, je pense primo que nous avons besoin d’une assurance maladie universelle pour tous les Marocains, qualitativement, quantitativement et raisonnablement acceptable. Deuxio, il faut favoriser une fluidité et une célérité dans les flux administratifs que nous avons avec le gestionnaire de santé ; parce que des fois tout n’est pas clair. Des dossiers qui parfois mettent plus d’un mois pour que la réponse revienne et des dossiers lourds de réanimation et de soins très coûteux qui mettent plus du temps qu’il ne faut pour être finalisés. Pour nous, cliniciens, la fluidité à ce niveau-là est importante et une dématérialisation des processus administratifs peut contribuer à une célérité dans l’obtention des réponses à nos demandes de prise en charge. De même, pour lever ces blocages, il faudrait mettre en place un secteur 2 [accord entre les médecins conventionnés et l’assurance maladie autorisant des dépassements d’honoraires encadrés : NDLR] qui permette à certains médecins de percevoir des suppléments d’honoraires pour des raisons diverses, liées au fait qu’ils disposent de techniques particulières ou de compétences au-dessus de la normale, ce qui représente une pratique parfaitement légale sous d’autres cieux. Bien entendu, cela relève du choix du patient et ces suppléments doivent être limités dans leurs pourcentages pour qu’ils soient perçus avec tact et mesure. Je suis convaincu que si on met en place toutes ces mesures, une très grande partie des conflits liés à la solvabilité des patients vis-à-vis des cliniques pourra être réglée.

Les médecins dans toute leur diversité méritent le respect et la considération de tous. Ce qui ne se vérifie pas toujours. Quel levier actionner pour normaliser les relations entre les praticiens et la population ?

Dans toutes les professions, il existe des brebis galeuses et notre métier ne fait pas exception.   La relation entre le médecin et le patient doit être régie dans le cadre de l’éthique et d’un code de déontologie actualisé. Celui-ci existe déjà mais l’application de ses dispositions demeure problématique.

Le Conseil national de l’ordre des médecins et ses conseils régionaux doivent aujourd’hui activer l’application stricte de ce code de déontologie. Comme je l’avais dit, les principales causes du discours critique des médecins proviennent des honoraires dont notre code éthique stipule qu’ils doivent être demandés avec tact et mesure.  Les suppléments d’honoraires sont fixés dans le cadre d’une entente entre le médecin et le patient mais il faut qu’ils soient encadrés par la loi. L’idée d’un secteur 2 qui plafonne ces suppléments d’honoraires est une idée que nous avions proposée aux gestionnaires de la santé mais qui n’a pas recueilli leur approbation. Par ailleurs, la médecine moderne exige aujourd’hui un certain niveau d’expertise et de performance et il est de notre responsabilité d’offrir aux Marocains une médecine compétitive comparable à celle des pays développés. Celle-ci exige évidemment une mise à niveau permanente des ressources humaines de la santé qui ne doivent s’ouvrir sur des formations post-universitaires. Une médecine de qualité adaptée à son époque, tournée vers l’intérêt de la santé des patients, est à ce prix.  

Il est de plus en plus évident que l’État n’a pas les capacités, surtout gestionnaires, pour sortir l’hôpital de ses mille et un maux. Pensez-vous qu’un partenariat public-privé peut être une solution à envisager pour améliorer son fonctionnement avec une offre de soins digne de ce nom ?

Tous les systèmes de santé à travers le monde ont réussi grâce à un excellent partenariat public-privé (PPP), et tous les systèmes de santé à travers le monde s’ils sont performants c’est parce que l’hôpital est performant. Ce dernier devrait être la vitrine de la qualité de l’offre des soins d’un pays. Pour notre part, nous n’avons cessé de demander la mise en place d’un PPP ambitieux qui de notre point de vue doit pour remplir efficacement son rôle être régionalisé, bidirectionnel (dans les deux sens, de l’hôpital vers la clinique et vice-versa). Le PPP n’est pas seulement une affaire du ministère de la santé et des médecins : les collectivités locales, les régions et les autorités territoriales doivent être impliqués dans ce partenariat. Le PPP, dont la mise en place dépend de l’autorité gouvernementale, est un excellent outil pour mutualiser le coût des soins et rehausser le niveau des soins apportés à la population.

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