Le régime bassiste, réputé criminel et sanguinaire, qui régnait pendant plus de 50 ans sur le pays, a été balayé en moins de 15 jours. Le président déchu, Bachar Al Assad, a trouvé refuge en Russie de son allié Poutine.
Laila Lamrani
«La Syrie est à nous, elle n’est pas à la famille Assad ! » Dans les rues de Damas, l’heure était à la liesse, dimanche 8 décembre. Quelques heures plus tôt, les insurgés conduits par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham, annonçaient à la télévision publique la chute du président Bachar al-Assad et la « libération » de la capitale syrienne, après une offensive rapide. Le régime bassiste, réputé criminel et sanguinaire, qui régnait pendant plus de 50 ans sur le pays a été balayé en moins de 15 jours.
«Après cinquante ans d’oppression sous le pouvoir du [parti] Baas et treize années de crimes, de tyrannie et de déplacements, nous annonçons aujourd’hui la fin de cette ère sombre et le début d’une nouvelle ère pour la Syrie », ont déclaré les rebelles. L’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad en 200 après le décès de son père Hafez est néanmoins synonyme d’espoir dans la population.
L’image du réformateur se dissipe avec l’arrestation et l’emprisonnement d’intellectuels, d’enseignants ou d’autres adhérents au mouvement de réforme, au terme d’un bref « printemps de Damas ». Quand le Printemps arabe débarque en mars 2011 en Syrie, des manifestations pacifiques appellent au changement. « Plus populaire que ne l’étaient Ben Ali [en Tunisie] et Moubarak [en Egypte], le président syrien se croit immunisé contre un soulèvement général. Il laisse ses forces de sécurité tirer sur les manifestants, les rafler et les torturer, ce qui contribue à la propagation de la colère ». Dans le cadre des réformes promises, le gouvernement syrien annonce cependant la tenue d’un référendum le 26 février 2012 sur une nouvelle Constitution qui met fin à la prédominance du parti Baas et instaure théoriquement le pluralisme politique. Trop peu pour calmer la colère.
Bachar al-Assad, qui est également commandant des armées, mène alors une répression brutale qui tourne à la guerre civile. Pendant la guerre, qui a fait plus de 500 000 morts et provoqué le déplacement de la moitié de la population, le dirigeant est toujours resté ferme sur ses positions.
Bachar al-Assad parvient aussi à écraser toute résistance par l’utilisation d’armes chimiques.
Cette attaque avait conduit les États-Unis, la France et le Royaume-Uni à planifier des bombardements sur des postes stratégiques pour le pouvoir avant qu’un accord de dernière minute soit finalement conclu entre Washington, Moscou et Damas.
En 2014, le groupe Etat islamique (EI), venu d’Irak, conquiert de nombreux territoires en Syrie avec notamment la prise de Raqqa, qu’il proclame comme sa capitale. Au fil des mois, une coalition internationale contre le groupe islamiste, menée par les Etats-Unis, se forme.
En 2015, la Russie s’engage directement sur le champ de bataille aux côtés de Bachar al-Assad, qui a demandé officiellement l’aide de Moscou, reconnaissant l’usure de son armée qui a subi plusieurs déroutes. A la faveur du soutien de ses parrains iranien et russe, le chef d’État syrien réussit alors à reconquérir les deux tiers du territoire. En 2017, le groupe EI perd Raqqa, tandis que deux ans plus tard, le leader du mouvement, Abou Bakr Al Baghdadi se tue avec sa veste explosive lors d’une opération des forces spéciales américaines. Même au pic de la guerre civile, le président syrien reste imperturbable, convaincu de sa capacité à écraser une rébellion qu’il dénonce comme « terroriste » et fruit d' »un complot » ourdi par des pays ennemis pour le renverser. Les nouveaux rapports qui s’installent dans la région, à la faveur de la guerre génocidaires sionistes contre les Gazaouis, le laminage du Hezbollah et l’affaiblissement de l’Iran de ses proxys chiites signent la fin de son triste régime. Il aura tenté jusqu’ au bout pour se maintenir au pouvoir. En vain. La messe était dite. Al Assad et sa famille quittent, résignés, la Syrie pour un exil glacial en Russie chez son ami Vladimir Poutine qui n’a non plus rien fait pour contrer l’offensive des rebelles et sauver son grand allié du Proche-Orient. Les observateurs vont désormais scruter les moindres faits et gestes des nouveaux maîtres de Damas. Il faut dire que ces derniers, nonobstant leur couleur politique, n’ont pas la tâche facile et doivent neutraliser le jeu obscur de plusieurs acteurs internes et externes qui ont des intérêts dans le pays. Et puis, les chutes des régimes despotiques ne s’accompagnent pas automatiquement, comme cela a été le cas en Irak et en Libye, de stabilité et de prospérité pour les citoyens…Loin s’en faut.
Cela dit, les tombeurs de Al Assad vont-ils démentir les pronostics pessimistes et réussir à mettre en route une transition en douceur en pacifiant un pays divisé entre plusieurs factions religieuses ou s’embourber dans des luttes de pouvoir impitoyables qui prendront de nouveau en otage la population ? Nouvelle ère pour les Syriens ou nouvelle « Syrie » noire qui commence ?