Le Liban risque à nouveau la guerre civile

Des militants d'Amal et du Hezbollah hostiles au juge Bitar, le 14 octobre 2021 devant le palais de Justice de Beyrouth. Photo : Lyana Alameddine.

Seules les mauvaises habitudes et les mauvaises graines ont la peau dure.  Les bonnes habitudes et les hommes bons sont fragiles et finissent souvent par sauter. Et pour cause. Les hommes les plus puissants de la caste politique libanaise est toujours aux manettes depuis les années, directement ou en sous-main. Ses puissants hommes ont survécu à la guerre civile, aux assassinats, aux soulèvements et autres troubles, s’accrochant mordicus au pouvoir un coquillage à un rocher et ce pendant des décennies dans une région turbulente et impitoyable.

Aujourd’hui, ces accrocs au pouvoir mènent une lutte désespérée pour s’accrocher à leurs positions et à leurs richesses et privilèges, alors que le Liban plonge chaque jours dans l’un  des pires effondrements économiques que le monde ait connus depuis des décennies, et les conséquences de l’explosion qui a ravagé la capitale Beyrouth il y a un an, tuant 220 personnes. Et la spirale de la descente aux enfers est loin de s’arrêter. Les échanges de coups de feu qui ont fait rage pendant des heures dans les rues de Beyrouth la semaine dernière ont été la dernière manifestation de la volonté des membres de la classe dirigeante du pays de se battre pour leur survie politique quelque soit le prix à payer. Mécontents de la tournure que prend l’enquête sur l’explosion du port le 4 août 2020, ils ont resserré les rangs et déclaré l’union sacrée pour s’assurer de ne pas être touchés par ses retombées. Jeudi 14 octobre, le Hezbollah et le mouvement Amal, tous les deux d’obédience chiite, ont organisé une manifestation pour demander la révocation de Tarek Bitar, le juge qui dirige l’enquête. Armés, ils ont défilé dans des quartiers majoritairement chrétiens de la capitale libanaise, certains criant « Chiite, Chiite ! ».

Lundi 18 octobre, le ton monte d’un cran. Dans un discours télévisé, Nasrallah a accusé les Forces libanaises (FL), son principal adversaire dans le pays, de s’armer et de tenter de provoquer « une guerre civile ». « Je révèle pour la première fois ce chiffre : nous disposons de 100.000 combattants, entraînés et armés », a-t-il déclaré, précisant que ce chiffre concernait uniquement « les Libanais ». Le Hezbollah de Sayed Hassan Nasrallah et Amal de Nabih Berri, deux partis chiites qui se sont livrés des batailles rangées dans les années 80 mais qui sont aujourd’hui de proches alliés, ont accusé les Forces libanaises – un parti chrétien qui disposait d’une puissante milice pendant la guerre civile de 1975 à 1990 – d’avoir ouvert le feu en premier. Les Forces libanaises ont rejeté ces accusations, imputant la violence au fait que le Hezbollah a dressé ses partisans contre le juge Tarek Bitar. Les deux camps se sont affrontés pendant des heures, démontrant une fois de plus à la nation que les Libanais doivent choisir : ou la justice et la responsabilité ou la guerre civile.

Pour beaucoup d’observateurs, cet affrontement explique pourquoi le Liban est pris au piège dans le bourbier actuel. « Ils montent les gens les uns contre les autres, puis ils s’assoient à la même table pour conclure des accords », a déclaré Hanan Raad, dont la belle-sœur a été tuée dans les combats de jeudi. L’enquête sur l’explosion du port est au cœur des tensions actuelles, tout comme la culture d’impunité du Liban, dans laquelle le système judiciaire n’a jamais poursuivi les personnes au pouvoir, malgré la corruption et les crimes généralisés.

Jusqu’à ce que l’explosion survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth attire l’attention de la communauté internationale sur la corruption et la négligence massives qui en sont à l’origine. Quelques jours après l’explosion, des documents ont révélé que plusieurs hauts responsables politiques et chefs de la sécurité étaient au courant de l’existence de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium hautement combustible stockées au hasard dans un entrepôt portuaire et qu’ils n’avaient rien fait. Des politiciens rivaux, dont l’ancien Premier ministre Saad Hariri, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, le président du Parlement Nabih Berri, et plusieurs personnalités religieuses ont lancé une vaste campagne pour discréditer Bitar, l’accusant de partialité. Défiant, le juge de 46 ans a émis des mandats d’arrêt, notamment contre les anciens ministres des finances et des travaux publics, tous deux membres d’Amal et proches alliés du Hezbollah. « Nous sommes face à une nouvelle équation : soit Tarek Bitar part, soit le pays sera ruiné » a déclaré Youssef Diab, un analyste politique. « Nous sommes face à cette nouvelle et dangereuse équation ».

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