Une équipe du Canard a interviewé le président tunisien Kais Saied dans sa tour d’ivoire présidentielle à Carthage, sur les hauteurs de Tunis.
Alors, Kais Saied, êtes-vous satisfait du niveau du taux de participation de 11,4% dramatiquement bas du second tour des élections législatives anticipées qui n’a pas vraiment décollé par rapport à celui du premier tour ?
J’en conviens, c’est un petit score qui correspond un peu à l’air du temps. Ce n’est nullement un désaveu, comme le crient mes détracteurs, pour mon autorité autorégulée.
Mais il faut en même temps reconnaître que depuis l’indépendance du pays, la petite Tunisie n’a jamais connu un président aussi grand.
Un président grand de taille ?
Arrêtez vos sarcasmes s’il vous plait ou je mets fin immédiatement à cet entretien ! Les Tunisiens ont été bien inspirés d’élire comme chef un illustre inconnu qui mène leur pays vers l’inconnu, un professeur droit constitutionnel qui s’est arrogé tous les droits et qui ne concède à ses opposants qu’un seul et unique droit. Celui de la fermer.
Grâce à vous en effet, la Tunisie est passée du statut d’une démocratie en crise à celui de dictature aux contours obscurs…
J’ai gelé les activités du Parlement, levé l’immunité parlementaire pour mes pires adversaires, fait arrêter les figures menaçantes pour mon autorité, actionné la justice contre les juges rebelles… C’est cela le changement, il est de fond et, mieux encore, il est en marche.
Vous ne croyez pas si bien dire, les forces vives de la nation n’arrêtent pas de marcher contre ce qu’elles qualifient de dérive autocratique de votre régime…
Faire marcher les autres est un art que je cultive jour et nuit. C’est ma nouvelle passion. Et puis, il faut bien que quelqu’un prenne le relais de feu Ben Ali. L’arrivée des islamistes d’Ennahda dans le sillage de sa fuite à l’étranger suite à la révolte des Tunisiens ne devrait être qu’une petite parenthèse dans la vie autocratique du pays. La démocratie est un luxe qui n’est pas offert par des boutiques politiques locales corrompues.
Au moins sous Ben Ali, il y avait un certain bien-être social, du travail pour les jeunes et une relative prospérité économique. Avec vous, tout cela s’est envolé…
Le business, les projets de développement et la lutte contre la paupérisation des citoyens, ce n’est pas vraiment mon fort. Mon rôle est d’empêcher les méchants islamistes d’Ennahda de faire du commerce avec la religion, ce que je conçois comme une mission messianique.
Mais le pays va mal, tous les clignotants sont au rouge et il est au bord de l’explosion sociale…
Ce sont des mensonges colportés par mes ennemis politiques qui cherchent à nuire à la réputation de mon pays et de mon confort au pouvoir. Pour moi, tout va bien du moment que la Tunisie est sous contrôle. Et puis, il vaut mieux mourir de faim que d’obscurantisme. Les Tunisiens doivent me remercier d’avoir doté leur pays d’un monarque de triomphe plus prestigieux que l’Arc de triomphe.
Vous ne comptez donc pas passer la main ?
Mais je viens à peine de prendre le pouvoir. Un peu de patience s’il vous plaît ! Et puis, celui qui mérite de prendre ma place n’est pas encore né. Les Tunisiens n’en ont pas encore fini avec le ton pédantesque de mes discours.
Donc, pas d’élection présidentielle anticipée en Tunisie comme le réclame vos opposants ?
Jamais de la vie. Mon devoir de chef absolument résolu qui tutoie l’Histoire c’est d’anticiper les coups de mes adversaires et non pas de me mettre en équation de manière anticipée.