Entre le discours et la réalité, il y a souvent un monde de populisme, nourri aux clichés et aux raccourcis, quand il s’agit par exemple du phénomène migratoire. N’en déplaise aux chantres français de la xénophobie incarnée assidûment par Marine Le Pen et Eric Zemmour, la France a besoin de migrants par milliers, voire plus pour faire tourner sa machine économique.
Si les opérateurs agricoles s’en sortent en important des saisonniers pour faire la cueillette dans les champs, certains secteurs, notamment le CHR (cafés, hôtels, restaurants) ont du mal à trouver des bras indispensables en matière de service à la clientèle.
Les besoins dans cette filière sont évalués à 250.000 postes (à pourvoir) selon l’Union des métiers de l’hôtellerie. Face à cette carence en ressources humaines et alors que la saison touristique commence, de nombreux employeurs, qui ont du mal à recruter, sont inquiets à l’idée de ne pouvoir assurer de service complet, et partant de perdre du chiffre d’affaires. Cruelle perspective à un moment où la reprise de l’activité se confirme, en France comme ailleurs, après les ravages de la crise sanitaire qui a provoqué le retour dans leur pays d’origine d’une bonne partie de cette main-d’œuvre très utile. S’il y a un « grand remplacement» à opérer c’est bel et bien celui-là. Trouver dare-dare des serveurs pour les bistrots et cafés d’île de France ou des barmans pour les hôtels de la côte d’Azur pour faire tourner le business touristique.
Alerté par les professionnels des corporations concernées, le ministère français de l’Intérieur planche sérieusement sur le dossier pour faire venir des saisonniers de Tunisie en proie depuis plusieurs années à une crise économique et sociale aiguë, aggravée par la pandémie du Covid et une instabilité institutionnelle qui perdure.
Cette crise française a évidemment le mérite d’éclairer d’un jour nouveau les discours d’une certaine classe politique française, qui a fait de la xénophobie son principal fonds de commerce et tord au passage le cou à leurs thèses farfelues sans cesse serinées sur les plateaux télés et dans les meetings politiques sur « ces étrangers qui viennent manger le pain des Français », font « augmenter le chômage et « tirent les salaires vers le bas »… Autant de sornettes que Le Pen et ses semblables ont cherché vainement à imposer comme une vérité absolue. Ce qui a eu comme effet de stigmatiser l’étranger en l’enfermant dans un statut réducteur. L’autre, l’intrus, l’indésirable qui n’a sa place que dans son pays d’origine surtout s’il est musulman.
« Les étrangers mangent le pain des Français…Dans mon village, on a un étranger…on l’a renvoyé. Depuis, on ne mange plus de pain…il était boulanger », écrivait Pierre Émeraude dans son excellent livre « La manipulation des consciences, l’exploitation du sentiment national».
« Les étrangers mangent le pain des Français…Dans mon village, on a un étranger…on l’a renvoyé. Depuis, on ne mange plus de pain…il était boulanger», écrivait Pierre Émeraude dans son excellent livre « La manipulation des consciences, l’exploitation du sentiment national».
Si Marine Le Pen, qui n’arrive à rouler dans la farine que les xénophobes à son image, était arrivée au pouvoir, ce sont des centaines d’autres prestations, assurées via petits métiers jugés usants, ingrats et dégradants dont les Français ne veulent pas, qui ne seraient pas assurées au quotidien. Imaginez un peu la France sans travail de migrants pendant une seule journée dans des activités comme le bâtiment, le CHR, le gardiennage et sécurité, le travail domestique, le nettoyage et l’entretien…
Or, dans les fantasmes d’extrême droite, les migrants, dont l’utilité sociale et économique n’est pas reconnue, sont considérés comme une charge en termes de dépenses publiques pour l’État français. Une autre contrevérité battue en brèche par divers rapports dont ceux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Dans tous les pays, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations sociales est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation », écrit l’organisation dans son rapport annuel sur les Perspectives des migrations internationales qui considère en substance que les travailleurs migrants donnent plus en termes de contribution fiscale (impôts, taxes et cotisations sociales) qu’ils ne reçoivent comme prestations individuelles.
L’autre vérité que les chantres de la xénophobie passent sous silence c’est que le phénomène migratoire, en plus de son rôle essentiel dans la marche économique, est un facteur de rajeunissement de la France en particulier et de l’Europe en général, frappés de plein fouet par le vieillissement démographique.
Malgré ces vérités qui sautent aux yeux, ce n’est pas demain que le sujet migratoire cessera d’être instrumentalisé dans le débat politique hexagonal victime de manière récurrente de poussées nationalistes. Prospérant sur l’appauvrissement des Français de souche, elles servent en fait à « dévoyer les luttes de classes vers des conflits de « races » et de « cultures ». Et puis, l’importance cruciale de la main-d’œuvre étrangère dans la croissance économique reste un sujet tabou en France où le patronat évite soigneusement d’exprimer ses besoins de manière publique sous peine de s’attirer la réprobation de la mouvance identitaire.
On est loin du modèle anglo-saxon, type américain par exemple, caractérisé par son universalisme, qui arrive à intégrer sans trop de vagues des vagues successives de nouveaux arrivants de différentes cultures.
Lancée chaque année par l’administration américaine, la loterie qui permet à quelque 50.000 individus à travers la planète d’obtenir la Green Card est inimaginable en France où « le modèle français d’intégration», qui s’est fracassé, au nom d’une vision figée de la laïcité, sur le récif des distinctions ethniques et religieuses. Un vivre-ensemble réussi à la française passe certainement par la nécessité de repenser le rapport aux étrangers, à la lumière des nouveaux défis qui se posent et s’imposent.