Abdellah Chankou
Irak, Liban, Yémen et maintenant la Syrie…Le monde arabe renvoie de plus en plus l’image d’un bateau qui sombre, victime de ses propres divisions qui ne font que s’aggraver au fil du temps faute de démocratie et de pluralisme. Ce qui en fait un terrain fertile pour le jeu des puissances qui s’y livrent les pires guerres par procuration au détriment des populations qui en paient le prix fort sur tous les plans. Dans ce contexte de toutes les dérives, l’unité de la « Oumma » reste juste un slogan ou un vœu pieux qui meuble les discours, prolongeant ainsi le processus d’humiliation de la rue arabe, que le genocide sioniste contre les gazaouis a largement amplifié, avec en toile de fond le creusement du fossé entre les régimes en place et leurs peuples. La Syrie, ravagée par plus d’une décennie de guerre civile qui a éclaté en 2011 dans le sillage du mystérieux « Printemps arabe », aspire aujourd’hui à retrouver la voie de la concorde et du développement. Aspiration légitime qui est toutefois loin d’être acquise d’avance. Les transitions dans pareilles situations politiques, nourries généralement au cynisme et à la fourberie et régentées en sous-main par des forces obscures aux intérêts antagonistes, s’avèrent souvent chaotiques. Le cas de l’Irak et de la Libye sont là pour nous le rappeler avec force. Ces deux pays n’ont-ils pas basculé dans des conflits claniques sanglants après la chute des régimes de Saddam et Kadhafi que l’on peut tout leur reprocher, sauf de ne pas savoir tenir leur pays? En attendant les premiers actes des nouveaux maîtres de Damas pour faire une lecture politique claire de leurs véritables intentions, certains observateurs s’interrogent : A qui le tour après la chute étonnement rapide du régime despotique de Bachar Al Assad, à la faveur de l’affaiblissement de ses parrains, chiite et russe, et la prise du contrôle du pays par une rébellion islamiste du nom de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) considéré comme terroriste par l’ONU, les Etats-Unis et certains pays européens? La junte militaire algérienne depuis longtemps aux abois et qui a perdu toutes ses assurances-vie, a des raisons sérieuses de s’inquiéter. Après avoir exprimé par la voix de sa diplomatie, quelques jours avant la déchéance de son allié syrien, « sa solidarité absolue avec la République arabe syrienne (…) face aux menaces terroristes qui guettent sa souveraineté » (…, ) », le régime déboussolé du Maghreb a opéré une volte-face en pondant un deuxième communiqué où il a tenté de gagner la sympathie du « peuple syrien frère ». Pathétique ! L’accélération de l’Histoire dans la poudrière proche-orientale, sans garantie que demain sera meilleur qu’hier, tient en haleine plus d’un.
Dans ce nouvel ordre ou désordre mondial, le monde arabe de plus en plus affaibli n’a pas de cartes en main à jouer pour peser sur le cours de l’Histoire qui se fait sans lui et à son détriment.
Décidément, le Machrek complexe, fruit dans sa forme moderne d’un découpage colonial imparfait et dont les ficelles de la « recomposition » sont tirées depuis plus d’un siècle par les puissances, n’en finit pas de sombrer dans le chaos. Transformé en champ de bataille par procuration entre milices chiites et sunnites, il est dans l’ombre des manigances le théâtre d’une confrontation géopolitique entre les pays du Golfe, l’Iran et les puissances occidentales. Conséquence de ces intrigues : des territoires, à l’image de celui de la Libye, livrés après le renversement des régimes despotiques en place, à des milices armés et des gangs violents qui vivent de toutes sortes de trafic. Retour à la case départ ou plutôt nulle part. Au point qu’une bonne partie de la population, désenchantée et lassée, en arrive, comme c’est le cas en Tunisie qui a raté sa transition, à regretter l’ancien pouvoir déchu qui leur assurait au moins la paix civile et une relative prospérité. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. La Syrie post-Bachar risque de connaître le même sort si l’unité du peuple syrien dont les islamistes du HTS ont fait leur credo ne se concrétise pas rapidement et si la démocratie et le pluralisme, absents sous le clan Al Assad, ne sont pas instaurés. Vaste programme. Certains observateurs sont sceptiques, considérant les tombeurs du système Al Assad comme des mercenaires à la solde de l’Occident et de son principal protégé dans la région qu’est Israël. A y regarder de plus près, celui-ci apparaît comme le grand vainqueur de cette nouvelle dynamique du chaos adossée à la loi du plus fort. N’est-ce pas par la diplomatie de la canonnière et une guerre génocidaire contre les Palestiniens de Gaza que les sionistes aux commandes à Tel Aviv sont en train, encouragés par la complicité de leurs parrain américain et le silence embarrassant des dirigeants arabes, de redessiner la carte politique de la région pour l’on sait quel objectifs inavoués ?
Après avoir laminé le Hamas à Gaza et fragilisé le Hezbollah au Liban, ils manœuvrent certainement pour provoquer un changement de régime en Iran. A moins que les Mollahs, tout à leur obsession de sauver leur pouvoir, aient déjà décidé de pactiser avec le sionisme, comme peut le laisser penser la facilité avec laquelle les services israéliens ont éliminé à Beyrouth le chef du Hamas et les dirigeants du Hezbollah. Preuve que la confiance règne entre les dirigeants iraniens et l’ancien homme fort de la Syrie, ce dernier a opté pour le lointain exil russe chez son ami Poutine plutôt que pour la protection de ses alliés chiites!
En filigrane du jeu de Netanyahou et ses protecteurs, se profile clairement l’objectif d’en finir avec le dogme que la question palestinienne est un combat arabe, un objectif déjà proclamé avec la signature en 2020 des fameux « accords d’Abraham » sous l’égide de Donald Trump entre Israël, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc et que le 7-Octobre a relégués au second plan tout en stoppant la dynamique de recrutement de nouveaux pays, notamment l’Arabie saoudite. Avec le retour au pouvoir de M. Trump, qui a montré son fort tropisme pour Israël tout au long de son premier mandat, il faut s’attendre à ce que le cercle des normalisateurs s’élargisse au nom de la realpolitik imposée par les bouleversements géopolitiques du monde. Dans ce nouvel ordre ou désordre mondial, le monde arabe de plus en plus affaibli n’a pas de cartes en main à jouer pour peser sur le cours de l’Histoire qui se fait sans lui et à son détriment. Résigné, il multiplie les signes de son incapacité à prendre son destin géopolitique en main, tardant plus que de raison à s’engager sur le chemin de l’émancipation.