Chantiers navals Le Maroc veut sortir du creux de la vague

Kamal Sabri, un fin connaisseur des enjeux maritimes.

Le Maroc a accuse un retard considérable dans l’industrie navale alors qu’il a tous les atouts en main pour devenir un hub mondial de construction et de réparation des navires. Zoom sur une filière en gestation.

La souveraineté économique passe aussi par la route de l’industrie navale. Dans ce domaine stratégique, le Maroc est en train de mettre les bouchées doubles pour rattraper  son  retard considérable. Pour ce faire, l’atout le plus important est là : un littoral de plus de 3.500 km peu investi qu’il convient désormais de mieux exploiter pour faire émerger une filière compétitive. Il suffit juste d’agir sur les facteurs qui  la rendent moins attractif  aux yeux des investisseurs potentiels : un cadre juridique obsolète et une fiscalité lourde. Président de la chambre de pêche maritime de l’atlantique nord, Kamal Sabri est un fervent militant de cette filière à haute valeur ajoutée sur laquelle il est intarissable. Ce fin connaisseur du secteur de la pêche et de ses véritables  enjeux est fier d’avoir contribué à la création d’un chantier naval à Agadir. Nouveau porte-drapeau des nouvelles ambitions du Maroc dans cette industrie, le chantier naval Souss-Massa a pu fabriquer et livrer  depuis sa naissance en 2018 pas moins de 40 de bateaux de la pêche côtière: 35 pour l’armement marocain et 5 destinés à l’étranger, notamment le Sénégal, la Mauritanie et la France dont les armateurs de pêche ont commandé 4 chalutiers. Parmi ces derniers, un engin sort du lot : un chalutier à propulsion diesel-électrique, une petite merveille technologique, qui permet entre autres avantages une faible consommation en carburant.

Le propriétaire, Jean-Baptiste Goulard, en est fier et satisfait à la fois. Détonnant avec ses lignes élégantes, le Blue Wave, en acier bleu, blanc et jaune, de 22 mètres de long par 6.95 de large, a obtenu en 2016 le prix de navire de l’année au Maritime Awards Gala en France. Ce succès illustre si besoin est le gisement extraordinaire que représente pour le Maroc l’industrie navale en termes de création de valeur et d’emplois.

Vétusté de la flotte

Les opportunités à saisir n’existent pas seulement dans la conception et la  construction des bateaux de pêche côtière ou hauturière  mais aussi dans la réparation et l’entretien des navires en activité, effectués pour la plupart  à l’étranger. Le segment de la pêche en haute mer nationale offre beaucoup d’opportunités en raison de la vétusté de la flotte qui affiche en moyenne plus de 60 ans d’âge. « Notre pêche hauturière compte quelque  280 bateaux  dont la majorité a besoin d’être renouvelée  et mise à niveau, explique M. Sabri. De quoi offrir du travail pour les 20 années a venir  pour les chantiers navals». Sauf que le Maroc ne s’est pas suffisamment positionné pour être en mesure de répondre  à la commande locale  des bateaux neufs ou  même d’assurer l’essentiel  des services nécessaires d’entretien ou de réparation.  

Problème surtout de capacité de mise  à sec et de carénage  pour des bateaux de 60m. Résultat : Pendant les périodes de repos biologique, les armateurs se tournent vers Las Palmas voisine dont l’annuaire affiche 12 entreprises modernes de restauration et d’entretien des navires.

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Le Blue Wave construit à Agadir.

Imaginez l’étendue du manque a gagner que cette situation représente pour l’économie bleue nationale et la perte de temps qu’elle occasionne pour les professionnels de la pêche. Et pourtant, le Maroc, de par son positionnement stratégique privilégié, est un carrefour maritime mondial et un passage obligé  pour le transport vers de multiples destinations (Afrique, Europe  Asie, Amérique, …)  Quel atout extraordinaire pour que  le  Maroc devienne un hub de réparation navale d’envergure internationale pour les navires du monde entier. Pas seulement de pêche mais l’activité peut être élargie  aux navires à haute technicité. Il suffit juste de le vouloir et de s’en donner les moyens.

Dans ce sens, les responsables doivent, selon, M. Sabri, s’inspirer de la réussite exceptionnelle de la plate-forme de transbordement Tanger Med pour doter le pays sur ses façades, atlantique et méditerranéenne, de chantiers navals de pêche tout en formant les compétences pour les métiers de la réparation et de la construction navales. La dynamique a déjà été  enclenchée  avec la construction du nouveau chantier naval de Casablanca en instance de mise en concession au profit d’un opérateur français. Mais d’autres chantiers restent à lancer et pour cela l’Agence nationale des ports (ANP), tuteur du secteur,  doit accélérer la cadence.

L’économie bleu fait pâle figure …

Le grand défi qui reste à relever par  le Maroc c’est de s’inscrire résolument dans l’économie bleue avec toutes ses facettes. Selon l’économiste Bertrand Blancheton, les secteurs concernés vont du tourisme littoral, les produits de la mer, la construction navale, la production d’énergies marines et le transport maritime. Sur le tourisme littoral, beaucoup reste évidemment  à faire pour faire des côtes nationales des espaces attractifs en termes d’activités  et de produits pour le touriste national et étranger. Mais là où le Royaume doit véritablement se ressaisir c’est dans le domaine du transport maritime. Sur ce plan, c’est carrément  le naufrage, conséquence d’une destruction incompréhensible de l’armement  national, fret et passagers, deux activités assurées depuis des années par le pavillon étranger. L’âge d’or du pavillon national, les années 70-80, n’est plus qu’un doux souvenir. A cette époque, il comptait 66 navires qui assuraient 25% du commerce extérieur du pays. Aujourd’hui, la flotte marocaine avoisine zéro. Quant à la Marine  marchande, elle a sombré depuis longtemps dans la médiocrité, devenant  tellement superflue qu’on n’en entend même plus parler… Comment un pays réputé pour son passé maritime prestigieux qui dispose de deux belles façades maritimes longues de plus de 3.000 kilomètres, et qui a construit l’un des meilleurs ports sur la méditerranée a-t-il pu laisser mourir  son armement sans réagir ?

Coût de ce gâchis monumental : plus de 30 milliards de DH par an tombent en devises dans les caisses des transporteurs maritimes étrangers qui assurent près de 95% du commerce extérieur marocain  et la traversée  des Marocains de l’étranger chaque été  lors de l’opération Marhaba. L’économie bleue ne se décrète pas. Elle se nourrit d’une vision d’ensemble ambitieuse et se  construit par des actions fortes et audacieuses.

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