Issue d’une source appartenant depuis plusieurs générations à un village du nom de Bensmim, niché au pied du Moyen-Atlas, l’eau Aïn Ifrane fait l’objet d’une exploitation contre la volonté des habitants.
Le dernier deal en cours de finalisation dans le monde marocain des affaires est le rachat de Aïn Ifrane, propriété du groupe français Castel, par le groupe Mutandis de Adil Douiri. Montant de la transaction: 380 millions de DH. Avec une telle acquisition, Mutandis entend enrichir sa gamme de boissons composée des jus industriels «Marrakech» qu’il a rachetés en 2017 au groupe Delassus appartenant à la famille Bennani-Smires. En attendant de mettre la main sur une boisson gazeuse qui manque à son portefeuille le sémillant et pétillant, toujours armé de son bagout d’arracheur de dents. Rafraîchissons la mémoire à son nouveau proprio au cas où il aurait oublié l’histoire peu limpide de cette eau de source.
Adil Douiri nourrit de grands desseins pour Aïn Ifrane produite par la société Euro Africaine des Eaux dont il veut renforcer la présence notamment dans le secteur des CHR (café-hôtel-restaurant). La vie de Aïn Ifrane n’a pas été un long fleuve tranquille. Son nom est intimement lié à un grand scandale en relation avec la source de Bensmim, petit village de, 3500 habitants, niché au cœur du Moyen Atlas, «dans les monts verdoyants de la «petite Suisse du Maroc», «Ifrane» comme elle est présentée dans le site de l’entreprise.
Celui-ci passe naturellement sous silence les méandres aux allures de labyrinthe de la mise en exploitation de cette eau de source.
Le démarrage en 2006 des travaux de construction de l’usine provoque la colère des habitants qui ont multiplié les manifestations et les sit-ins pour dénoncer une captation de leur unique source hydrique essentielle pour alimenter leur culture vivrière, agriculture et élevage. En proie à un profond sentiment d’injustice, un groupe de villageois tente d’empêcher les bulldozers et les pelleteuses qui s’activaient à flanc de colline pour sortir l’unité de terre. L’affaire fait grand bruit. Blocage du chantier érigé sur un terrain de quatre hectares accordé par les Eaux et forêts.
Intervention énergique des forces de l’ordre. Dispersion du mouvement de protestation. Interpellation de plusieurs personnes dont le doyen de la Zaouia de Bensmim, Ali Tahiri, âgé a l’époque de 72 ans. Celui- ci a beau montrer aux journalistes qui défilaient chez lui, des dahirs attestant que la source de la discorde est une propriété du village et à personne d’autre, il ne faisait que donner des coups d’épée dabs l’eau… des dahirs attestant que la source de la discorde est une propriété du village et à personne d’autre.
Les associations locales et les altermondialistes s’en mêlent pour faire de ce conflit le symbole mondial de «La lutte pour le droit à l’eau» et réclamer la libération des personnes interpellées. Le procès aura finalement lieu et aboutira à la condamnation de 6 manifestants à une peine de trois mois de prison avec sursis. Bensmim porte les stigmates de la pauvreté et de la précarité : population qui vivote aux prises avec un quotidien pénible, masures en pisé et en briques bordant des sentiers poussiéreux.
Le seul bien précieux de Bensmim est son eau de source surtout qu’il est situé dans une région particulièrement exposée au cycle des sécheresses et au stress hydrique. Et voilà qu’on vient la leur piquer par le recours à une convention de privatisation troublante signée par un certain Mohamed El Yazghi qui occupait le poste de ministre chargé de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Environnement dans le gouvernement Jettou II (2004-2007).
Anguille sous roche
Le trouble vient du fait que le bénéficiaire de cette cession est un ressortissant français du nom de Nicolas Antaki en sa qualité de directeur de la société Euro-Africaine des eaux (EADE) qu’il a créée en 2001.
«Le quota accordé par l’Agence du bassin hydraulique de Sebou est de 3 litres / seconde. Or le débit moyen de la source de Bensmim, régulièrement contrôlée depuis quarante ans, est de 80 litres /seconde, et au moins 20 en période de sécheresse», expliquait Nicolas Antaki pour rassurer ses interlocuteurs en leur faisant miroiter la création de 200 emplois pour assurer la production de 100 millions de litres par an destinées au marché national. Mais a-t-on objectivement besoin de faire appel à un étranger pour l’exploitation d’une source d’eau marocaine ?! Visiblement, il y a anguille sous roche. Ce qui semble certain c’est que cet Antaki a joué le rôle de portage au profit d’une tierce partie puisque son entreprise, l’EADE, tombe en mai 2010 dans l’escarcelle du groupe français Castel. Plus de trace de M. Antaki. On entendra plus parler de lui… On dirait qu’il s’est évaporé…
De Nicolas Antaki à Adil Douiri, que d’eau a coulé dans les bouteilles de Ain Ifrane pour aller remplir l’on ne sait quelle fontaine. Une eau qui n’a pas la bénédiction des villageois qui estiment qu’on leur a volé. Par le biais d’une mystérieuse infiltration… Quant à l’ex-ministre reconverti dans les affaires, ce n’est pas sûr que Aïn Ifrane suffise à étancher sa soif d’opportuniste du business liquide…