Lpoufa mérite bien sa réputation. Cette forme de crack est devenue synonyme de fléau, de calamité, et même de dévastation, physique, psychologique et sociale.
C’est une véritable catastrophe qui s’abat sur le Maroc, et le mot est faible. Des mesures efficientes doivent être prises de toute urgence pour l’éradiquer. Aussi appelée «drogue du pauvre » ou « cocaïne du pauvre » (à tort, pour des raisons qui seront expliquées plus tard), L’poufa gagne de plus en plus de terrain au Maroc. Ce sont environ 3 kg de cette drogue qui ont été saisis et l’arrestation de 282 personnes qui ont eu lieu entre janvier et juin 2023, selon Abdelouafi Laftit, le ministre de l’Intérieur, qui s’exprimait au Parlement récemment. Partie émergée de l’iceberg ? Tout pousse à le croire, si l’on donne foi aux très nombreux témoignages que l’on peut découvrir un peu partout, dans la rue (surtout à Deroua, dans la région Casablancaise), dans les réseaux sociaux, ou encore dans les médias. L’poufa a la cote, malgré toute la diabolisation qu’elle subit de toute part, que ce soit de la part des autorités, des médecins, et, ironie de la situation, de la part des consommateurs et ex-consommateurs eux-mêmes. L’poufa est, en effet, également synonyme de regrets… Ce qui est d’ailleurs compréhensible vu que la vie entière de ceux qui en sont addicts commence à tourner autour de Lpoufa ; plus rien d’autre n’importe. Pour le comprendre, l’équation est simple.
Rim Akrache, psychologue clinicienne et chercheuse en psychopathologie de l’addiction, nous explique : « Le piège est que cette drogue crée très rapidement une dépendance forte, et a une forte tolérance, c’est-à-dire que les doses seront de plus en plus importantes, parce que la personne devient de moins en moins sensible aux effets à force de répéter la consommation, d’où le passage rapide d’une consommation “récréative” à la dépendance». Ajoutons à cela que Lpoufa provoque des effets similaires à la cocaïne, mais plus violents, plus rapides et, malheureusement, plus brefs. Beaucoup plus brefs. Et puisque l’état de la descente est très pénible (épuisement, dépression, anxiété, mal-être), le renouvellement de la prise devient, si on veut vulgariser, nécessaire. Coûte que coûte ! Et il suffit de faire un tour des témoignages sur le web pour comprendre que ces derniers termes sont pesés. Certains ont vendu des maisons, des voitures (en se faisant arnaquer au passage, ou en vendant à très bas prix), leurs propres corps, ou ont commis des délits, des crimes, pour s’acheter leurs doses. Drogue du pauvre ? Vraiment ?! On parle souvent de son prix beaucoup plus bas que celui de la cocaïne (le prix de cette drogue, qui se vendait auparavant à 300 ou 400 DH , a chuté de quasiment la moitié et elle ne coûte maintenant qu’entre 50 et 150 DH ), mais ce serait oublier que ses effets ne durent qu’une dizaine de minutes et que la consommation est une « priorité » pour l’usager. Si un pauvre peut se la permettre, il se retrouve dans l’obligation de « s’enrichir » pour en consommer. Et puisqu’il devient dépendant…
Descente aux enfers !
L’état physique, mental, et social des utilisateurs est tellement déplorable qu’ils s’en rendent compte eux-mêmes. Cette came peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux et des crises cardiaques. Pour ce qui concerne la santé mentale, Rim Akrache nous renseigne : « En utilisant cette drogue, on pourrait développer des troubles anxieux, une agitation, une dépression sévère, des troubles psychotiques, des comportements à risque, des pertes cognitives, en fonction des fragilités individuelles et des antécédents aussi ». Et l’utilisateur (pas tous, mais beaucoup) maigrit de plus en plus, perd ses dents, ses cheveux, non à cause de la drogue elle-même, mais à cause de cette nouvelle vie qu’il mène, son hygiène de vie, car, comme nous l’avons précédemment dit, plus rien d’autre n’importe, ni manger, ni boire, ni prendre soin de soi, ou de sa famille.
Côté sociologique, au Maroc (ce qui est strictement marocain), il semble un peu trop tôt pour s’exprimer, comme nous le confie le professeur Khalid Mouna, sociologue spécialisé dans les drogues : « Il n’y a actuellement pas d’étude sérieuse, provenant du terrain, auprès des usagers de Lpoufa, de leurs milieux socioprofessionnels, de leurs raisons de consommation, d’une part, et d’autre part, nous n’avons que quelques reportages qui ne nous donnent pas une idée très claire sur le sujet. Il faut des études sur plusieurs mois, avec un vrai contact, un vrai suivi, de ces personnes qui en consomment. Et on n’a pas de données exactes émanant d’institutions officielles concernant la composition de cette drogue. Rim Akrache est, à peu près, du même avis : « Le contenu du produit est incertain… Pareil pour la cocaïne elle-même, et son degré de pureté. Certains additifs augmentent sa toxicité et c’est justement plus risqué de ne toujours pas connaître la composition ». Il semble qu’on doive faire avec les moyens du bord, se contenter de ce qu’on peut se mettre sous la dent et, donc, d’approximations : il faut savoir, à en croire les médecins qui se sont exprimés sur ce sujet, que cette drogue est, tout comme le crack dont c’est une forme, composée de base de de cocaïne et de certains produits chimiques, comme l’ammoniac ou le bicarbonate de soude.
D’ailleurs, des perquisitions faisant suite à l’interpellation d’une quinzaine de personnes en juillet dernier ont permis la saisie de plusieurs doses de la drogue « Lpoufa » et de cocaïne ainsi que des boîtes de bicarbonate de sodium et de bouteilles en plastique utilisés dans la préparation et la consommation de cette drogue. Maintenant que nous sommes sûrs que c’est une forme de crack, les données sociologiques deviennent nombreuses (certes, cela dépend tout de même un peu de la culture, de « l’environnement », de beaucoup de choses, mais, généralement, c’est très instructif et un peu partout c’est du pareil au même), il suffit alors de donner comme exemple une enquête de 2011 auprès de 292 experts cliniques en Écosse, dans laquelle le crack a été classé 2ème pour le préjudice personnel (juste après l’héroïne) et 3ème pour le préjudice causé à la société (après l’héroïne et… l’alcool, en Ecosse), sur 19 drogues récréatives courantes, dont la cocaïne, la méthamphétamine, les benzodiazépines, la méthadone, le LSD… Autant dire que la deuxième pire drogue au monde, pour le consommateur et pour la société entière, se propage de plus en plus au Maroc. Autre exemple éloquent : aux USA, l’Anti-Drug Abuse Act de 1986 a augmenté les peines pour la possession et l’usage de crack à cinq ans sans libération conditionnelle pour la possession de… cinq grammes de crack (il fallait alors 500 grammes de cocaïne pour pouvoir infliger la même peine). C’était la guerre. Et c’est une guerre que nous ne pouvons que conseiller aux autorités de livrer, de la même manière, et avec la même ferveur. Aux grands maux…
P.S. : tant que vous y êtes, ou y serez, le karkoubi non plus on n’en veut plus. Plus un seul comprimé. Ne serait-ce qu’à cause de l’aggravation de la criminalité qu’il occasionne depuis si longtemps qu’on pourrait légitimement se demander si quelque chose d’efficace pourrait être réellement entrepris contre Lpoufa…