Des dommages et des sinistres

Ramsès Arroub, président de Wafa Assurance.

Dans une série de témoignages bien fouillés et experts, un ancien cadre de la compagnie a révélé la face cachée du management à la Ramsès Arroub. Il en ressort un détricotage progressif des acquis de leader du marché sur fond d’une gestion à la tronçonneuse des ressources humaines. Une marche vers l’abîme à pas assurés ?

Les langues commencent à se délier en interne à Wafa Assurance et le marché à s’interroger depuis les révélations-choc d’un ex-haut cadre de la compagnie au sujet de l’état désastreux de la boîte. Sur 6 épisodes, conçus comme un feuilleton à suspense intitulé « Wafa Assurance : le sombre tableau de Ramsès Arroub », publiés entre le 22 septembre et le 27 octobre sur lebrief.ma, Nabil Adel, qui s’est reconverti dans l’enseignement et le consulting, a livré,  en expert qui maîtrise son sujet, chiffres et graphiques à l’appui, la réalité du bilan du président de la boîte durant ses deux mandats (le premier de 2008 à 2014 et  le second de 2018 à aujourd’hui) .

A rebrousse-poil du tableau idyllique tracé par les dirigeants de l’assureur lors des conférences de presse, ce bilan est tout sauf positif. Le verdict, découlant de ces révélations troublantes, dessine par petites touches la face cachée d’une entreprise dont le compte à rebours de la descente aux enfers aurait été enclenché il y a plus d’une décennie. Reste à  connaître les raisons, pour le moment mystérieuses,  de ce jeu de massacre qui ne dit pas son nom auquel le fleuron des assurances au Maroc a été soumis sur une assez longue période. Incompétence du management, incapacité à performer face à la concurrence ou stratégie  aux objectifs inavoués ? Plus étonnant encore est le silence des organes de contrôle  (conseil d’administration, comité d’audit, comité stratégique, comité des rémunérations et comité exécutif). Le fait que Wafa assurance, dont les comptes sont en plus certifiés par 2 cabinets des big 4,  soit coté en bourse ajoute à la gravité de la situation et au mystère de l’inaction des outils d’alerte.

« À l’arrivée de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance (décembre 2007, ndlr), celle-ci contrôlait 20% de parts de marché, elle n’en contrôlera que 18,2% en 2021. Elle réalisait une rentabilité des capitaux propres de 55,36%, elle affiche désormais une rentabilité de 8,96%. Ces réalisations sont celles d’une compagnie disposant du premier réseau bancaire du royaume, faisant partie de l’un des premiers groupes privés du pays et dotée de tous les fondamentaux pour briller au Maroc et au-delà », écrit M. Adel dans son premier épisode. « En 2018  (date de son  retour, ndlr) Wafa Assurance contrôlait 33,9% de parts de marchés en bancassurance contre 22,3% en 2021. Ce chiffre était de 46,7% en 2008 ! », ajoute l’auteur qui livre un autre diagnostic chiffré sans appel : « À son arrivée, Wafa Assurance affichait une rentabilité des fonds propres de 55,3%, à son départ en 2014, elle réalisait 19,1%. En 7 ans, M. Arroub avait fait perdre à la compagnie 3.620 points de base de rentabilité par rapport au mandat de son prédécesseur (…).

Chape de plombe

Pis encore, avec un coût des capitaux propres de 11,30% en 2021 contre une rentabilité réalisée de 8,96, l’ex-fleuron de l’industrie assurantielle au Maroc est littéralement passé en zone de destruction de la valeur pour ses actionnaires. »

Du coup, difficile de faire l’économie de cette question qu’un simple observateur peut se poser : Est-ce pour terminer sa politique de ce qui ressemble à un détricotage méthodique des acquis de la compagnie que Ramsès Arroub a fait son come-back inexpliqué à sa tête ?

En interne, la lumière crue jetée sur la réalité de l’état général de la compagnie a donné lieu à un échange satisfait entre les cadres qui ont entrepris de relayer les articles de l’ex-dirigeant. Ces révélations, qui ont fait l’effet d’une bombe dans le microcosme des assurances, leur ont donné du baume au cœur en faisant sauter une chape de plomb pesante sur l’enfer qu’il vivent côté ressources humaines. Le Canard a déjà eu par le passé à révéler la gestion à  la tronçonneuse des  RH. A ce niveau-là aussi, le massacre a continué de plus belle dans l’impunité totale, à en juger par la teneur de quelques échanges en interne dont le Canard a mis la patte. Tous décrivent un bilan humain désastreux  où  s’enchevêtrent carrières brisées, santé physique et morale détruite  (dépressions, cancers, maladies du cœur, stress, honneurs injustement salis…) sous le rouleau compresseur continu du harcèlement des cadres non-béni-oui-oui dont l’esprit d’indépendance ne plaît pas à M. Arroub et sa camarilla de courtisans. L’ambiance décrite en interne est celle d’un enfer alimenté au quotidien par la peur, les menaces et  le châtiment   dont les flammes sont savamment entretenus par deux femmes dont le bras droit du président qui s’est vu gratifier, alors qu’elle a été atteinte par la limite d’âge,  de deux années supplémentaires. Pour poursuivre son dévouement précieux  au « sévice » du capital humain ?  « Ce climat délétère  a poussé de nombreux cadres de valeur à quitter  au fil des années un navire qui chavire », confie sous le couvert de l’anonymat un cadre moyen qui pense sérieusement à migrer…

« Ce management chaotique a vidé la compagnie de ses meilleurs éléments, ce qui a causé une grande instabilité dans l’organisation. Ainsi, la compagnie, qui fut une école de formation des compétences, est forcée aujourd’hui de rallonger les départs à la retraite faute de relève, ou pire encore, de rappeler des retraités dans certaines fonctions ô combien sensibles ! », affirme Nabil Adel dans un de ses témoignages.

La situation est telle que certains salariés, désespérés à l’idée d’un redressement de la compagnie à la fois côté performances et bien-être du personnel, réclament la désignation d’un cabinet d’audit indépendant pour examiner la politique des RH de la compagnie. Il y a chez les cadres comme une soif terrible de parler,  de s’extérioriser et  d’exprimer leurs émotions longtemps refoulées. Des sinistres à la pelle et non couverts avec  des dommages profonds, provoqués par les dirigeants de la boite et qu’aucune assurance ne saurait hélas indemniser, sont à déplorer et surtout à  en dresser les procès-verbaux. Ce besoin  poignant d’être écouté en dit long sur l’ampleur de la torture psychologique qui sévit dans les bureaux de Wafa Assurance. La moindre des choses c’est d’entendre ce cri de détresse et diligenter une enquête auprès des cadres. Il y va de la responsabilité des actionnaires  qui risquent au passage de découvrir des vertes et des pas sûres.

Wafa Assurance : Une situation qui a du mal à rassurer…

À la nomination de M. Arroub à  la tête de Wafa Assurance en décembre 2007, la compagnie avait, selon Nabil Adil,  presque tout réussi :

• « Première compagnie à lancer la bancassurance.

• Première compagnie à travailler sur un projet de carte santé.

• Première compagnie à s’introduire en bourse.

• Première compagnie à utiliser un logiciel intégré de gestion (ERP).

• Première compagnie à révolutionner l’assurance automobile, en intégrant dans un seul package, assistance, réparation, véhicule de remplacement et constateur.

• Première compagnie à lancer un projet de couverture maladie des indépendants.

• Première compagnie à lancer un concept uniforme de distribution en agence.

• Première compagnie à certifier ses réserves techniques par un actuaire indépendant.

• Seule compagnie à accéder au leadership du marché sans croissance externe, dépassant des concurrents issus de plusieurs fusions-acquisitions» ?

Sous les mandats du président Arroub, la compagnie est-elle devenue championne dans la liquidation de ses acquis historiques ?

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