Entre virages mortels et zigzags politiques

Un chantier essentiel qui n’en a pas fini avec les zigzags politiques…

Le gouvernement vient de se rappeler au bon souvenir du célèbre tunnel de Tizi N’Tichka figé au stade d’éternel chantier… depuis près de 70 ans ! Chronique d’une Arlésienne qui a freiné net le développement de Ouarzazate.

A l’époque, le protectorat français a fait creuser un tunnel de 10 kilomètres pour rejoindre Ouarzazate en peu de temps et avec le moins de risques possibles. Les travaux furent lancés en 1933 mais le déclenchement de la deuxième Guerre Mondiale en 1939 provoqua la suspension du chantier puis son abandon.

Creuser un tunnel dans les montages de Tizi N’Tichka, c’est probablement, le plus vieux vœu pieux que les gouvernements du Maroc indépendant  ont formulé au gré des accidents mortels impliquant notamment des autocars dans ce col de tous les dangers. Le dernier drame en date qui s’y est produit  remonte à  2012. Quelque 42 passagers ont péri lors d’une chute d’autocar dans un ravin de 150 mètres alors qu’il descendait, de nuit, sur Marrakech, après avoir franchi le col de Tizi-N-Tichka, le plus haut du pays, qui culmine à 2.300 mètres. Entre Marrakech et Ouarzazate, la route  serpente à travers les montagnes du Haut-Atlas riches en ressources minières sur une distance  d’environ 200 km. Très dangereuse car très  étroite et pleine de virages, cette route effrayante donne le vertige à chaque virage autant aux conducteurs qu’aux voyageurs, tellement les passages sont une véritable épreuve.

La voie est tellement exiguë à certains virages que  les véhicules  qui s’y croisent s’en sortent au prix de manœuvres extrêmement risquées. Depuis 2015,  le tracé  de cette route a subi d’importants travaux de «correction » avec un élargissement et une sécurisation des tronçons à haut risque bordés de précipices vertigineux. Certes, la dangerosité de la circulation y est désormais atténuée, la peur de s’aventurer dans l’enchaînement des virages et des lacets de Tichka n’est plus aussi grande que naguère.

Que du vague….

Mais le sentiment de sécurité ne peut être  assuré que par la connexion de Marrakech et Ouarzazate par un tunnel.En visite dans la région du Draa-Tafilalet, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a relancé en des termes très vagues le projet du tunnel de Tizi N’Tichka en réponse aux interrogations des responsables locaux qui ont pris l’habitude d’attendre Godot: « Nous allons œuvrer pour inscrire le tunnel de Tichka sur la liste des projets bénéficiant de l’appui du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, dans sa composante consacrée aux infrastructures». Appréciez l’usage du futur proche bien parti dans le cas du Tichka pour être renvoyé aux calendes grecques. Histoire de faire des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, le secrétaire général de l’Istiqlal  a ajouté  que son ministère planche sur la finalisation des études complémentaires relatives aux réalisations géophysiques et géotechniques de l’ouvrage dont la réalisation, a-t-il affirmé, sera réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé. Rien de précis. Que du vague. Nizar Baraka est venu relancer un chantier déjà relancé il y a 10 ans par son prédécesseur  Abdelaziz Rabbah qui officiait dans le gouvernement Benkirane comme ministre de l’Équipement et du Transport.  

L’ex-ministre PJD avait déclaré en 2012 dans un magazine économique que son département était en train d’étudier la faisabilité du projet du tunnel de Tizi N’Tichka, que l’appel à manifestation d’intérêt était déjà prêt et que le projet devait être  adossé à un projet de ville verte dont les études devraient déterminer le modèle. Le projet de Tizi N’Tichka est un grand  cimetière d’études de faisabilité  qui date au moins des années 70. Du grand pipeau ! Rien n’a été entrepris. Une nouvelle décennie de perdue ! Le Maroc peut se permettre le luxe d’en perdre encore. Il est urgent de ne rien faire !

Il est de tout de même étonnant que  ces deux villes voisines distantes d’à peine 180 km, regorgeant d’attraits touristiques indéniables, soient maintenues dans cet état de fait. Ni connectivité routière digne de ce nom, ni liaison ferroviaire ni service de transport aérien avec jets privés. Nous sommes face à une véritable rupture spatiale hautement préjudiciable au développement socio-économique de Ouarzazate et sa région. L’absence d’un réseau de transport sécurisé et fluide a en effet  un effet dissuasif sur les touristes locaux et étrangers qui ne sont pas très nombreux à partir à la découverte de Ouarzazate et ses multiples attraits (désert magique, kasbahs, oasis fabuleuses, palmeraies luxuriantes,  et autres paysages époustouflants).

Marginalisation

Cet enclavement, produit par une accessibilité complexe, a eu comme conséquence de maintenir Ouarzazate dans un état de survie socio-économique en l’empêchant de tirer convenablement profit de son énorme potentiel de développement connu et reconnu et de sa notoriété mondiale. Cette marginalisation chronique a compromis l’éclosion d’une activité touristique dynamique et prospère au bénéfice des populations locales et condamné l’industrie du cinéma locale a tourner au ralenti. La ville qui a prêté ses décors naturels d’une rare beauté a de multiples superproductions américaines à tous les atouts pour s’imposer comme le «Hollywood» d’Afrique. Avec une infrastructure hôtelière de haute facture,  des restaurants de prestige, des attractions de premier plan et autres centres de divertissements  et de loisirs.  C’est cela qui attire les touristes et les pousse à se rendre dans une destination et à y séjourner.

Ouarzazate est très loin du compte. Transformée malgré elle en petite ville de passage alors qu’elle a les attributs d’une cité de séjour. Pas plus qu’elle ne fait pas vivre les hôtels de la place condamnés à broyer du noir faute d’une clientèle qui séjourne longtemps, cette situation peu enviable  qui rejaillit sur le taux d’occupation n’encourage pas l’investissement dans le tourisme et ses différents métiers.

Mais qui a intérêt à maintenir une région aussi riche en attraits et en diverses ressources dans cet état de sous-développement presque scandaleux? Force est de constater que la marginalisation de Ouarzazate  et son accessibilité à haut risque profitent essentiellement à Marrakech. Les touristes notamment étrangers y séjournent longtemps et ceux  d’entre eux qui aiment s’aventurer loin peuvent à la limite faire une excursion dans la journée à Ouarzazate. Départ le matin et retour le soir.  Mais qu’est ce qui justifie ce qui ressemble à une entreprise d’exclusion de Ouarzazate et ses environs? Quels en sont les objectifs inavoués?  Existe-t-il un réellement «lobby de Marrakech » qui agit dans l’ombre pour que Ouarzazate demeure une petite ville touristique de passage ? Certains professionnels du secteur, pas forcément de Ouarzazate, donnent du crédit à cette thèse qui pourrait expliquer bien des choses. Une chose est sûre : Un Ouarzazate désenclavé et bien desservi  par la route et l’aérien ferait décoller son secteur touristique eu égard à son potentiel indéniable. Mais ce décollage  ne  se ferait pas forcément au détriment de la ville ocre et de ses intérêts. Bien au contraire. Bien vendre Ouarzazate est un facteur de croissance du tourisme national et d’attractivité de la destination Maroc.

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