Mohamed Saad Berrada : Un cas d’école

Mohamed Saïd Barada, un ministre déroutant.

Quand un ministre de l’Éducation nationale, déjà englué dans des affaires de conflits d’intérêt, se met à donner des leçons de mobilité scolaire, ça vire à un sketch indigne et de mauvais goût Entre nostalgie d’un papa qui l’a exilé pour réussir et mépris affiché pour l’école publique de proximité, les Marocains découvrent son pire défenseur…

Laila Lamrani

Un ministre de l’Éducation, du Préscolaire , des Sports et… des affaires gênantes est censé parler avec un minimum de pédagogie. Mais Mohamed Saïd Barada, lui, préfère les raccourcis malheureux qui scandalisent . Son dernier exploit ? Conseiller aux familles rurales de fuir les écoles publiques de proximité – trop médiocres à son goût – pour inscrire leurs enfants ailleurs, même très loin. Le tout, avec l’enthousiasme d’un VRP en écoles « pionnières » et le naturel d’un homme d’affaires qui oublie que sa mission consiste à agir pour améliorer l’image de l’école publique en disant des choses sensées. Mais l’intéressé a montré une vocation particulière pour les sketchs ministériels qui ne font rire personne.

Dans un moment d’illumination politique à l’occasion d’une réunion du parti , le ministre a déclaré que pour avoir une bonne éducation, il suffisait de prendre le bus. Ou un mulet. Ou sa maison entière, comme dans les vidéos satiriques qui ont inondé le web après ses propos irrationnels : on y voit des villageois traîner leur maison pour “rapprocher” l’école.

Son raisonnement est très simple, voire simpliste : certaines écoles sont mauvaises, donc fuyez-les. Plutôt que d’œuvrer pour corriger les défaillances, il lance aux parents auxquels il fait la leçon : “Bonne chance, mais marchez vite.”

Mais le dérapage ne ne s’arrête pas là. Face caméra, le ministre est allé jusqu’à hiérarchiser les enseignants : les plus compétents officieraient dans certaines écoles pionnières, tandis que ceux « du fond du tableau » (les « akfassohom », selon l’expression du ministre) peupleraient les zones rurales. Le message est clair : si vous habitez loin, prenez la peine de vous taper plusieurs kilomètres pour avoir les meilleurs enseignants. Autrement, vous condamnez vos enfants à subir un enseignement au rabais. Le ministre normalise en quelque sorte la discrimination territoriale la où il avait pour obligation de defendre la vision d’un Maroc de l’equité pour tous en matière de l’accès au savoir.

Selon plusieurs observateurs, le ministre fait assumer la responsabilité du dysfonctionnement de l’école publique aux familles, au lieu d’agir pour réformer le système et améliorer son fonctionnement aussi bien dans le Maroc des villes que des campagnes. Il leur demande de trouver une « bonne école », même si elle est loin, une charge qu’il ne revient pas aux citoyens de porter seuls.

Derrière ses propos maladroits, c’est bien une justification implicite d’une école à deux vitesses qu’il défend: d’un côté, les “écoles pionnières ” qu’il faut mériter à coups de kilomètres et de sacrifices, de l’autre, les écoles “proches mais défaillantes” réservées aux défavorisées notamment du monde rural… 

Les propos du ministre-confiseur sont non seulement maladroits, mais insultants pour les enseignants du monde rural. En les traitant de nuls, il jette le discrédit sur des professionnels dévoués qui exercent dans des conditions difficiles, loin des projecteurs, avec peu de moyens et sans reconnaissance.

Sortie maladroite

Au lieu de valoriser leur travail et de se battre pour améliorer leur situation professionnelle , le ministre choisit la stigmatisation facile en encourageant au passage une fracture entre un enseignement prétendument «d’élite» et un autre relégué au second plan.. Ce n’est pas juste une gaffe, c’est un mépris de classe et de territoire…

Il n’en fallait pas plus pour que la polémique s’installe. Les syndicats, les parents d’élèves, les élus, les internautes : tous ont dénoncé une sortie maladroite, méprisante et révélatrice d’un mépris structurel envers les citoyens ordinaires. Comme si la mission du ministère n’était plus d’élever le niveau de toutes les écoles, mais de pointer du doigt les moins bonnes… Le tollé a été tel que son parti, le RNI, a discrètement retiré du site la vidéo de son intervention. Trop tard: les extraits ont circulé à grande échelle, tournés en dérision, détournés, remixés par l’intelligence artificielle…Triste parabole d’un pays où les élèves du monde rural doivent se taper des kilomètres pour bénéficier d’ un droit fondamental.

La sortie désobligeante de ce membre du gouvernement a ravivé la polémique autour des fameuses « Écoles pionnières » qui n’ont de pionnier que le nom. Ces établissements, que le ministre cherche à ériger en modèle, souffrent en réalité de bien des problèmes: pénurie de manuels scolaires et de supports pédagogiques, infrastructures défaillantes, manque d’équipements et de personnel, et parfois même l’absence de direction permanente. 

Entre ses approximations en arabe, ses sorties de route pédagogiques et ses casseroles pharmaceutiques, le ministre Berrada collectionne les mauvaises notes comme un élève distrait les rappels à l’ordre en classe.

Moralité : l’école publique, c’est pour les autres. Lui, il préfère les avions pour l’éducation de ses enfants, et conseille les kilomètres à pied pour celle de la masse.

Monsieur le ministre, contentez-vous de sucrer les bonbons. Dans l’intérêt de l’école, de vos collègues et de votre parti, fermez-la. À méditer, entre deux bonbons et trois scandales.


Le ministre, visiblement nostalgique, a tenu à partager lors de la même réunion partisane une anecdote poignante : « Mon père m’a envoyé dans un pays lointain pour étudier ». Décodez : si vous n’avez pas les moyens d’un paternel visionnaire et fortuné, tant pis pour vous. Saad Berrada n’y va pas par quatre chemins: la solution aux défaillances de l’école publique serait donc… l’exil scolaire qui coûte bonbon…

Mais tout le monde n’a pas un papa prêt à sortir le chéquier pour scolariser ses enfants dans le privé ou leur offrir une place dans une université occidentale. Mais une chose est sûre: ce n’est pas avec un tel profil que la confiance dans l’école publique pourrait être restaurée encore moins lui faire retrouver ses titres de noblesse.

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