Par leur plan qualifié de menace pour la démocratie, Benyamin Netanyahou et son gouvernement d’ultra nationalistes ont semé le chaos dans toutes les sphères sociales tout en ravivant une vieille crainte : l’effondrement de l’entité israélienne. Décryptage de ce qui ressemble à une lame de fond.
Depuis quelques semaines, une grande peur traverse les cercles du pouvoir israélien, celle de l’effondrement de l’État hébreux. Une peur alimentée par les manifestations gigantesques provoquées par la très controversée réforme de la Justice portée par le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite. La mobilisation contre ce projet, considéré par ses contempteurs comme une attaque frontale contre la démocratie israélienne, ne faiblit pas. Malgré une « pause» dans le processus législatif décrétée le 27 mars par M. Netanyahou pour donner une «chance […] au dialogue» et désamorcer la colère de ses concitoyens, ces derniers continuent de battre le pavé, réclamant rien de moins que le retrait du texte. Pour le gouvernement, la réforme vise entre autres à rééquilibrer les pouvoirs par une réduction des prérogatives de la Cour suprême, que l’Exécutif juge politisée, au détriment du Parlement. Les contestataires du projet de réforme considèrent que cette dernière est de nature à saper le caractère démocratique d’Israël. Ils accusent à l’unisson le Premier ministre de chercher, par le biais de ce texte, à casser une éventuelle condamnation à son encontre dans un procès de corruption le visant.
«Cette réforme sert les intérêts d’un homme qui fait face à plusieurs accusations et d’une clique de criminels qui a déjà été inculpés, sous influence d’un groupe de messianiques fous », a déclaré l’ex-Premier ministre Ehud Barak lors d’une conférence organisée en février dernier par le quotidien israélien de gauche Haaretz. L’ex-dirigeant fait référence à Netanyahu et à son procès pour corruption, ainsi qu’aux membres de sa coalition, comme le chef du Shas, Aryeh Deri et les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir. En termes clairs, Netanyahou et sa bande d’extrémistes religieux aux commandes cherchent à marginaliser la Cour suprême pour pouvoir agir à leur guise sans risque d’être jugés. Cette crise profonde met en lumière le caractère prévaricateur de l’Exécutif d’extrême droite au pouvoir et la véritable nature d’un régime revêtu juste d’un enduit démocratique. M. Barak est allé jusqu’à déclarer que la population, face à l’entêtement du gouvernement, aurait l’obligation morale de refuser les ordres d’un «régime illégitime» qui cherche à faire basculer le pays dans la dictature. Un air de désobéissance civile flotte dans l’air. «J’ai peur que cet endroit devienne un État religieux, que les lois juives passent au premier plan et que la liberté démocratique telle que nous la connaissons n’existe plus», s’est inquiétée pour sa part auprès de l’AFP Liat Tzvi, chercheuse à l’université de Tel-Aviv.
Vent de révolte
Même l’armée, institution centrale qui maintient la survie d’Israël au prix de la répression du peuple palestinien, est vent debout contre le plan Netanyahou. Un groupe d’officiers réservistes refuse de servir en guise de protestation alors que des centaines d’anciens pilotes de l’armée de l’air, d’ex-membres du renseignement et des commandos multiplient les pétitions. Pour un État militariste, la fronde dans les rangs de Tsahal n’augure rien de bon. Jamais la société israélienne n’a été aussi divisée sur fond d’une ambiance délétère. Les cris d’alerte se multiplient sur les menaces qui pèsent sur l’unité israélienne.
Inédite par son ampleur et sa détermination, la contestation qui a commencé début janvier, est la plus importante de l’histoire d’Israël qui fêtera en mai prochain son 75ème anniversaire marquant sa naissance sur l’occupation des terres palestiniennes. Les Hakham juifs et autres dignitaires religieux qui connaissent parfaitement les lois de la Bible hébraïque voient dans le vent de révolte actuelle qui souffle sur le pays le signe céleste de l’imminence de l’effondrement d’Israël mentionné dans le Coran. Dans une vidéo, un officier de l’armée israélienne «annonce la bonne nouvelle aux musulmans» en citant la sourate Al Hachr : «C’est Lui qui, lors de leur premier exil, a chassé de leurs foyers ceux des gens du Livre qui ont rejeté la foi[1404]. Vous ne pensiez pas qu’ils partiraient et eux-mêmes s’imaginaient que leurs forteresses les protégeraient d’Allah.
Mais Allah leur a infligé un châtiment auquel ils ne s’attendaient pas, remplissant leurs cœurs d’effroi, si bien qu’ils se sont mis à démolir leurs maisons de leurs propres mains[1405], aidés par les croyants qui les assiégeaient. Tirez-en des leçons, vous qui êtes doués de raison !» Cette prophétie a été également annoncée en 1999 dans l’émission Shahid ala al-asr animée par Ahmad Mansour sur la chaîne Al Jazeera par le fondateur et chef spirituel du Hamas feu Cheikh Yassine. Le martyr palestinien assassiné le 22 mars 2004 lors d’un raid israélien a donné 2027 comme date de la fin d’Israël, une date qu’il dit tirer d’une analyse personnelle de certaines dispositions coraniques. L’avenir d’Israël serait-il sa disparition? L’heure est tellement grave que le président israélien Isaac Herzog s’est adressé, la mine grave, dimanche 12 février, à ses concitoyens.
Un exercice inhabituel pour un président dénué de pouvoir politique et que la période critique que traverse son pays a fait sortir de sa réserve coutumière. D’emblée, M. Herzog, avocat de profession, annonce qu’Israël se trouve «à la veille d’un effondrement constitutionnel et politique» en pointant du doigt le projet de réforme de la discorde, voire du désordre. Israël a la particularité de ne pas disposer d’une constitution et de fonctionner ou de dysfonctionner en s’appuyant sur la déclaration de sa création en 1948. Système basé sur l’injustice et l’oppression, le crime et la spoliation, Israël est une greffe qui ne prendra jamais, portant en son sein les germes de sa propre destruction. Une vérité partagée jusque dans certaines mouvances religieuses israéliennes qui considèrent que la création d’Israël représente un acte de désobéissance divine.