Importée ou non, d’origine monétaire ou pas, l’inflation est une urgence sociale aux conséquences désastreuses. Pour la freiner, des solutions efficaces doivent être déployées sans délai. Explications.
La flambée des prix des légumes et des viandes n’est pas à chercher, comme l’affirme le haut-commissaire au Plan, dans l’insuffisance de l’offre agricole. Il n’y a qu’à faire un tour dans les marchés pour s’en rendre compte. Les victuailles de toutes sortes sont exposées en abondance. Mais ce qui pose problème c’est leur prix trop élevé pour les petites bourses et même moyennes. L’inflation qui s’accélère dévore les portes-monnaie au-delà du raisonnable. Mais il ne faut pas que ce phénomène préoccupant serve de prétexte pour régler ses comptes avec le Plan Maroc Vert qui n’est pas en cause dans le renchérissement des produits agricoles. Bien au contraire. Cette stratégie sectorielle a ramené les banques vers un secteur qu’elles ont longtemps fui par manque d’attractivité. Ce qui a permis d’augmenter le volume des investissements et la productivité tout en contribuant à l’émergence d’une économie solidaire dynamique, incarnée notamment par les coopératives.
L’envolée des prix de certains légumes trouve sans doute son origine dans une conjonction de facteurs. La pénurie d’eau consécutive aux insuffisances des précipitations y a joué un rôle prépondérant. Posez la question aux connaisseurs et ils vous diront que la production légumière en provenance de zones bour comme El Jadida, Berrechid ou Mohammedia et qui alimentent le marché de gros Casablanca a été très insuffisante cette année. D’où la mise à contribution des agriculteurs du Souss pour orienter une partie de leur production destinée à l’export vers le marché local pour soulager les prix notamment de la tomate. Le reste n’est que spéculation. Certains expliquent cette forte augmentation des prix à la consommation qui va au-delà des légumes par un recours à la planche à billets (Voir encadré) lors de la pandémie pour fournir les fameuses aides aux ménages démunies et aux employés des entreprises impactées. Pendant cette période, des millions de Marocains étaient soutenus sans travailler. L’inflation survient justement lorsque l’excès de création monétaire n’a pas de contrepartie en production qui, elle, ne vient essentiellement que de la valeur travail.
Le travail était en panne lors de la crise sanitaire qui a engendré une grande population d’assistés, confinés chez eux, qui consomment sans bosser. Il y a aussi lieu de s’interroger sur la pertinence économique d’un certain nombre de dispositifs de soutien et de financement des entreprises à des taux très bas à l’image de Intelaka ou Forsa. La question est de savoir l’origine du financement de programmes dont on connaît, à force de ratages, le sort réservé à l’essentiel des crédits octroyés aux porteurs des projets. La plupart ne créent ni richesse ni emplois, transformés en instruments pour satisfaire les besoins personnels, achat d’appartements et de voitures, de jeunes patrons souvent dénués d’expérience en gestion d’entreprise.
Trop délicat
Quelle qu’en soit l’origine, l’inflation est bel et bien là, installée, selon des scénarios pessimistes, pour durer. Avec tout ce que cette perspective fait peser comme menace sur la paix sociale. Le phénomène frappe durement les plus pauvres en appauvrissant les classes moyennes. Il en résulte une aggravation des inégalités sociales déjà criardes au Maroc tout en érodant la valeur des salaires et en faisant fondre l’épargne. Trop délicat.
Pour n’importe quel gouvernement, l’inflation est un problème trop sérieux pour le balayer d’un revers de la main en se contentant de dire officieusement qu’il s’agit d’une inflation importée, en référence à la guerre en Ukraine et ses diverses conséquences. Un gouvernement d’action doit trouver des solutions concrètes pour atténuer les effets de cette spirale inflationniste socialement coûteuse sur les couches les plus fragiles. Visiblement, les campagnes de contrôle des prix et les subventions substantielles généreusement accordées aux transporteurs se sont avérées inopérantes face à ce monstre qui inquiète et fait peur. L’une des solutions que le gouvernement doit envisager est de favoriser l’émergence des circuits courts en s’appuyant sur le Crédit Agricole pour acheter les récoltes des fellahs au juste prix. L’État peut ensuite mobiliser son bras logistique qu’est la SNTL pour acheminer la production agricole jusqu’au consommateur final. Cette démarche offre l’avantage de court-circuiter les intermédiaires qui contribuent au renchérissement des produits agricoles.
Certes, une telle option ne manquera pas de faire sauter les chantres de l’économie du marché dont les acteurs au Maroc agissent souvent en rentiers. Mais l’étatisation du business agricole, qui concerne la pitance quotidienne du gros de la population, aussi longtemps que la situation l’exige, n’est pas une très mauvaise idée. Bien au contraire. L’objectif final étant de sortir le tajine, qui constitue l’alimentation de base du citoyen lambda, des entreprises spéculatives et autres contraintes de conjoncture. On le répètera jamais assez, la gamila (gamelle) peut conduire au brasier social lorsque les prix de ses ingrédients deviennent trop brûlants. Il ne faut pas jouer avec le feu.
Planche à billet, un outil dangereux…
La “planche à billets” revient à créer de la monnaie ex-nihilo, c’est-à-dire sans création de richesse correspondante. En effet, en temps normal, pour pouvoir créer de la monnaie, la banque centrale d’un pays doit disposer de compensations à l’actif de son bilan, en l’occurrence de l’or, des réserves de changes et des titres (notamment des obligations d’État). C’est ce que l’on appelle les contreparties de la masse monétaire. De la sorte, il existe une correspondance entre la monnaie en circulation et la réalité économique du pays. Cela permet notamment d’éviter les dérapages inflationnistes. Bien différemment, lorsqu’une banque centrale actionne la “planche à billets”, cela signifie qu’elle crée de la monnaie sans contreparties préalables. Elle imprime des billets “sur la base de rien”.